Paraissent coup sur coup deux ouvrages du philosophe Han Byung-chul, l’un portant sur la crise dans le récit et l’autre sur la disparition des rituels – deux textes dénonciateurs des dangers de l’ère numérique.
Le premier ouvrage, assez court (120 pages), tente de faire le point sur l’opposition entre récit et storytelling. Pour l’auteur, producteur d’une vingtaine d’essais, les sociétés contemporaines sont minées par le passage du récit, par lequel des faits sont rapportés à une communauté désireuse de les analyser et d’y répondre, au storytelling truffé d’informations pré-digérées et destinées à être « avalées » sans discernement possible. L’auteur accuse le lointain de s’être désintégré sous les effets de la modernité, au profit de l’immédiat plus facilement accessible, surchargé d’informations, de telle façon que l’esprit critique doit fournir des efforts démesurés pour tenter de s’approcher du réel. La surcharge d’informations, de mots, de concepts, d’images produit paradoxalement une désinformation, d’une part plus facilement marchandée, et d’autre part, plus facilement contrôlable. On trouve par exemple une version, dans le monde de l’édition, de cette critique où désormais des agences spécialisées vendent des « contenus » (c’est-à-dire quelques lignes de scenario) et non plus des romans ou des nouvelles, et ces contenus donneront naissance à des livres, s’ils plaisent à l’acheteur.
Avec La crise du récit, l’auteur poursuit son travail de mise en scène de la décomposition d’une civilisation. Il dénonce la présente ère post-narrative et nous invite à revenir au sens, que la civilisation contemporaine délite lentement, au point qu’il est désormais possible de parler de vérité alternative comme l’a fait ce proche du président américain.
Le deuxième ouvrage, La disparition des rituels, s’ouvre fougueusement sur un texte d’où la pédagogie est absente – le lecteur risque d’avoir l’impression de lire un extrait de texte dont l’introduction aurait été coupée. L’auteur aborde ici la disparition des rituels comme fonction sociale stabilisatrice et sans doute unificatrice, dans un monde où toute forme de conformisme et de formalisme sont perçus comme incongrus. Pour l’auteur, le rituel construit une communauté sans que la communication vienne à son secours ; communication étant entendue ici au sens de production méta-discursive, que l’auteur oppose à la communauté a-collective soumise à l’ordre et à l’exploitation libérales. De la naissance, au passage à l’âge adulte, à la mort, tous ces rituels qui balisent une vie et qui produisent de l’art de vivre ensemble dans une communauté, disparaissent, sans doute sous la poussée hystérique d’une modernité cahotante, destructrice de tout signe et symbole que nous habitons sur une même terre, dans un même pays, une même langue etc.
Dommage pour les amateurs de culture coréenne que le confucianisme et ses nombreux rites soient absents de l’ouvrage. Nous aurions aimé découvrir comment les rites et rituels hérités de l’histoire se combinent à la modernité pour produire de la communauté, tandis que dans leurs formes les plus dures, ils sont remis en question par les multiples catégories, qui ont le plus souvent à en souffrir.
La crise dans le récit Han Byung-chul Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni Presses Universitaires de France, 2025
La disparition des rituels : pour une topologie du temps présent Han Byung-chul Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni Actes Sud, 2025
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Paraissent coup sur coup deux ouvrages du philosophe Han Byung-chul, l’un portant sur la crise dans le récit et l’autre sur la disparition des rituels – deux textes dénonciateurs des dangers de l’ère numérique.
Le premier ouvrage, assez court (120 pages), tente de faire le point sur l’opposition entre récit et storytelling. Pour l’auteur, producteur d’une vingtaine d’essais, les sociétés contemporaines sont minées par le passage du récit, par lequel des faits sont rapportés à une communauté désireuse de les analyser et d’y répondre, au storytelling truffé d’informations pré-digérées et destinées à être « avalées » sans discernement possible. L’auteur accuse le lointain de s’être désintégré sous les effets de la modernité, au profit de l’immédiat plus facilement accessible, surchargé d’informations, de telle façon que l’esprit critique doit fournir des efforts démesurés pour tenter de s’approcher du réel. La surcharge d’informations, de mots, de concepts, d’images produit paradoxalement une désinformation, d’une part plus facilement marchandée, et d’autre part, plus facilement contrôlable. On trouve par exemple une version, dans le monde de l’édition, de cette critique où désormais des agences spécialisées vendent des « contenus » (c’est-à-dire quelques lignes de scenario) et non plus des romans ou des nouvelles, et ces contenus donneront naissance à des livres, s’ils plaisent à l’acheteur.
Avec La crise du récit, l’auteur poursuit son travail de mise en scène de la décomposition d’une civilisation. Il dénonce la présente ère post-narrative et nous invite à revenir au sens, que la civilisation contemporaine délite lentement, au point qu’il est désormais possible de parler de vérité alternative comme l’a fait ce proche du président américain.
Le deuxième ouvrage, La disparition des rituels, s’ouvre fougueusement sur un texte d’où la pédagogie est absente – le lecteur risque d’avoir l’impression de lire un extrait de texte dont l’introduction aurait été coupée. L’auteur aborde ici la disparition des rituels comme fonction sociale stabilisatrice et sans doute unificatrice, dans un monde où toute forme de conformisme et de formalisme sont perçus comme incongrus. Pour l’auteur, le rituel construit une communauté sans que la communication vienne à son secours ; communication étant entendue ici au sens de production méta-discursive, que l’auteur oppose à la communauté a-collective soumise à l’ordre et à l’exploitation libérales. De la naissance, au passage à l’âge adulte, à la mort, tous ces rituels qui balisent une vie et qui produisent de l’art de vivre ensemble dans une communauté, disparaissent, sans doute sous la poussée hystérique d’une modernité cahotante, destructrice de tout signe et symbole que nous habitons sur une même terre, dans un même pays, une même langue etc.
Dommage pour les amateurs de culture coréenne que le confucianisme et ses nombreux rites soient absents de l’ouvrage. Nous aurions aimé découvrir comment les rites et rituels hérités de l’histoire se combinent à la modernité pour produire de la communauté, tandis que dans leurs formes les plus dures, ils sont remis en question par les multiples catégories, qui ont le plus souvent à en souffrir.
La crise dans le récit
Han Byung-chul
Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni
Presses Universitaires de France, 2025
La disparition des rituels : pour une topologie du temps présent
Han Byung-chul
Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni
Actes Sud, 2025