Année 1970. Hwang Sok-yong publie son récit Monsieur Han, témoignage de son sentiment envers une population divisée depuis maintenant près de vingt ans. Une cause pour laquelle son engagement lui aura valu une peine de sept ans de prison après avoir traversé illégalement la frontière en 1989 pour se rendre en Corée du Nord soutenir les artistes locaux. N’ayant pas la possibilité de retourner au Sud à la suite de son séjour en Corée du Nord, il prolongea son exil, d’abord à Berlin, là où régnait également un climat de tension intense causé par la division du mur de Berlin, puis à New York jusqu’en 1993. Il fit plusieurs grèves de la faim durant son incarnation, revendiquant les droits des prisonniers, et fut finalement gracié par le président Kim Dae-jung en 1998. Ce roman empreint de l’activisme intarissable de l’auteur retrace le terrible quotidien qu’ont vécu les Coréens lors de l’entrée dans la division de la péninsule ; un processus qui a bien trop coûté à de très nombreuses familles, tant en séparations, qu’en vies humaines.
« Et, signe de l’air du temps, maintes jeunes femmes se faisaient avorter illégalement. Nul ne sachant ce que le lendemain lui réservait, les filles se prostituaient pour gagner de quoi manger. »
Monsieur Han relate l’histoire de Han Yongdok, médecin-professeur gynécologue nord-coréen lors de la guerre de Corée. À cette époque, il vit à Pyeongyang avec sa femme et ses enfants. Il travaille à « l’Hôpital du Peuple » où il doit exercer uniquement dans la zone réservée au Parti. Lorsque son collègue So Hakjun décide soudainement de fuir au Sud, Han est emprisonné et interrogé quant à cette disparition suspecte. Han finit également par traverser la frontière, seul. Mais au Sud aussi, le chaos règne. Les Nord-Coréens ayant fui leur pays sont fortement surveillés, accusés de réunions secrètes et de comploter contre le Sud. L’armée avance et recule. Tout homme suspecté d’être un espion se fait emprisonné, torturé, tué.
« Il n’était plus ni professeur, ni réfugié, il n’était qu’un morceau de chair et d’os offert à la cruauté d’une époque en folie. »
Monsieur Han est l’histoire d’un homme ayant quitté son pays pour sauver sa peau, pour trouver une vie meilleure qui n’arrivera peut-être jamais. Ce roman s’apparente à un véritable témoignage de ce qu’était la vie à une époque où tout est permis, où toute personne s’avère être un ennemi potentiel. L’atmosphère constamment tendue rend compte au lecteur des tensions perpétuelles qui sévissent durant la guerre et la division, à l’image de la méfiance accrue instaurée entre tous. Le vécu des personnages secondaires, tout aussi douloureux que celui de Han, illustre le traumatisme qu’a subi une population entière. Un traumatisme qui soit se meurt dans le silence de ceux qui l’ont vécu, soit se transmet aux générations futures, marquant à jamais la souffrance d’un peuple séparé par la force.
Aussi, si vous vous intéressez à la période de la division des deux Corées, il ne vous reste plus qu’à découvrir ce petit livre d’une centaine de pages seulement mais qui pourtant est si riche en apprentissages. Monsieur Han est le genre de roman coup de poing qui apporte une leçon à tous ceux qui le lisent, qu’on ait des connaissances sur la guerre de Corée ou pas, c’est un livre dont on ne ressort pas indemne. Le récit est violent, il faut être accroché, les différentes histoires qui s’y trouvent sont toutes poignantes, on y ressent toujours l’injustice de la situation. Hwang Sok-yong réussit à élever les consciences sur des sujets historiques et sociétaux importants à une époque où la violence fait rage. Avec certitude, c’est le genre de lecture qui vous fait grandir.
Monsieur Han
Hwang Sok-yong
Traduit du coréen par Choi Mi-kyung et Jean-Noël Juttet
Éditions Zulma, 2017
144 pages, 9,95€
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