Chroniques Enfance en livres Roman jeunesse

Le Lys du ciel

Dans le Lys du ciel, Lee Geum-Yi, célèbre autrice coréenne, explore la psychologie adolescente dans un roman sensible, en pleine campagne coréenne.

Romans jeunesse
En 2011 était paru chez le même éditeur le roman de Gu Byeong-mo « Les petits pains de la pleine lune » également sur le thème de l’enfance maltraitée ou encore « Café 0405 » de Yi Hyeon paru dans la collection Chan-ok en 2012 sur la dérive malintentionnée des réseaux sociaux et la discrimination envers les mères célibataires. « Un jour, je suis mort » de Lee Kyunghye aborde les difficultés psychologiques et relationnelles des adolescents, publié par L’école des loisirs, Médium, en 2011.
© Lee Geum-Yi / Albin Michel jeunesse, 2025

Trois enfants entrent dans l’adolescence en ayant déjà fait l’expérience de la séparation d’avec leurs parents, par la mort, par l’abandon, par le divorce. Mais chacun.e la vit différemment, car Lee Geum-yi développe le riche portrait d’une période de vie particulière où la diversité des situations personnelles est compensée par l’étendue des émotions et des sentiments partagés. Un contexte psychologique auquel les jeunes lecteurices seront sans doute sensibles.

Le roman est construit en trois parties correspondant chacune au portrait d’un des héros. Comme l’autrice l’explique dans la postface, Mireu fut son premier choix : enfant de parents fraîchement divorcés, dont la mère choisit de s’installer comme directrice d’un dispensaire dans un village de la campagne coréenne joliment et symboliquement nommé Champ de Lune, Mireu est traumatisée par la séparation de ses parents et sa rancœur est renforcée par le sentiment d’exil dans ce village si loin des lumières et de la modernité de Séoul. Sa relation avec sa mère s’en trouve très abîmée et la jeune fille se replie sur elle-même.

Pourtant, très rapidement, Mireu va rencontrer Sohui et Baou, amis depuis leur toute petite enfance. La deuxième partie du roman sera donc consacrée à Sohui, la troisième à Baou. Sohui est élevée par sa grand-mère paternelle, son père est mort alors qu’elle était encore bébé, et sa mère s’est remariée sans plus jamais chercher à la revoir. Auprès de la vieille dame courageuse, elle a mûri très vite, et a une conscience vive de ses devoirs. Elle tient un journal d’école comme c’est souvent le cas en Corée, mais également un autre, plus personnel dans lequel elle raconte les épisodes de ses relations avec Baou et plus tard Mireu. Elle adore écrire et rêve de devenir écrivaine.

Baou a perdu sa mère lui aussi très jeune, d’un cancer, et la perte a durement marqué le père et le fils, perdus sans cette jeune femme lumineuse. La douleur et la difficulté de communication ont suscité chez Baou un trouble de mutisme sélectif qui l’isole en particulier à l’école ou en société. Il ne réussit à parler qu’à son père, Sohui et la grand-mère. Il dessine avec talent et originalité, ce qui le fait espérer pouvoir devenir peintre un jour.

Malgré des débuts chaotiques, Mireu, « l’enfant qui ne peut pas pleurer », Sohui « l’enfant riche de cœur » et Baou « l’enfant silencieux » vont peu à peu trouver le chemin d’une relation profonde, qui dépasse les malentendus. L’autrice développe les conséquences des situations de manque affectif que chacun compense avec les liens qu’iel entretient avec ses deux ami.es, et aborde la complexité des sentiments et des réactions des jeunes adolescent.es avec une grande maîtrise de leur psychologie : les lecteurices en seront d’autant plus touché.es que les enchaînements de péripéties sont très réalistes.

D’ailleurs Lee Geum-Yi a remanié le roman deux fois après sa première publication en 1999, jusqu’en 2007 pour faire évoluer les personnages dans un contexte réactualisé, où par exemple elle aborde certains préjugés socio-culturels, leurs dérives ou leur rejet. Les trois adultes autour des héros sont des personnages secondaires construits et convaincants, révélateurs de la personnalité de chaque enfant mais avec une existence propre et contextualisée. Le village et la campagne environnante permettent à l’autrice d’exposer l’intimité profonde que chacun dans le roman développe ou entretient avec la nature. Elle décrit avec finesse et beaucoup de poésie le passage des saisons, les fleurs et les couleurs, le rapport à la terre et les cultures, un ensemble qui émeut les personnages et les lecteurices, rassemblés autour de l’orme majestueux qui trône à l’entrée du village et veille comme un dieu tutélaire, véritable phare au milieu d’une foule inquiète.

Lee Geum-Yi est une autrice célèbre dans son pays, où ses romans sont inscrits dans les programmes scolaires. L’un d’entre eux intitulé Yujin et Yujin, a été publié par Picquier en 2013, et traitait sans détour mais avec délicatesse du problème des enfants abusés sexuellement. À la même période paraissaient aussi en France les traductions de plusieurs autres romans sur l’enfance et l’adolescence en Corée, dont les particularités rejoignent celles de l’enfance et l’adolescence en France et au-delà. La contemporanéité de ces thèmes dans une société coréenne que l’on décrit souvent comme encore corsetée dans des conventions socio-culturelles dépassées, ne peut que motiver les éditeurs francophones à diffuser cette littérature parmi le public adolescent et au-delà.

Considérant l’intérêt toujours croissant pour la Corée en France, la suite de ce roman-ci sera peut-être elle aussi un jour prochain proposée aux adolescents francophones ?


Le Lys du ciel
Lee Geum-yi
Traduit du coréen par Irène Thirouin-Jung
Albin Michel Jeunesse, 2025, 14,90€
Dès 10 ans

Documentaliste dans l' Education Nationale, et très impliquée dans la promotion de la littérature pour la jeunesse, j'ai découvert la production coréenne il y a plusieurs années, et j'ai été emballée! Je m'attache donc dans Keulmadang à en partager les délices avec les lecteurs, sans m'empêcher parfois de chroniquer un roman ou une bande dessinée pour les plus grands.