Le 17 décembre 2011 Kim Jong-il meurt. Le voile sur sa succession est définitivement levé : son fils Kim Jong-un, 28 ans, prend sa place à la tête de la République Populaire Démocratique de Corée. Une nomination attendue par les observateurs internationaux depuis la promotion de Kim Jong-un au grade de général quatre en décembre 2010, ce que rappelle Claude Helper dans son livre, Corée du Nord : dénucléarisation et succession de Kim Jong-il, signé cette même fin d’année. Un processus de succession visiblement entamé en 2008 par le renforcement de l’autorité du leader suprême et l’accession des membres de sa famille à des postes clefs du gouvernement. Une passation de pouvoir qui aura donc duré près de quatre ans.
On se souvient que la préparation de la succession entre Kim Il-sung et Kim Jong-il avait pris 20 ans, depuis que le président éternel de la Corée du Nord avait désigné son fils comme son successeur dans les années 70 jusqu’à sa disparition en 1994. Il aura même fallu quatre années supplémentaires à Kim Jong-il, jusqu’en 1998, pour respecter une période de deuil mais surtout pour asseoir définitivement son autorité face à la nomenklatura du pays. Comparativement, on s’interroge sur les capacités du nouveau « Dear Leader » à gouverner en raison de son jeune âge, et sur les conséquences de ce changement générationnel à la tête du pouvoir : inflexion de la politique de Pyongyang dans la ligne de ce que souhaitent les Occidentaux, ou durcissement de la ligne impulsée par Kim Jong-il ?
Claude Helper pose le débat en corrélant les termes « succession » et « dénucléarisation », rappelant que le principal enjeu de ce changement à la tête du pouvoir reste les ambitions nucléaires de la Corée du Nord, a fortiori l’abandon de celles-ci. Cette étape est posée comme préalable à toute négociation entre les États-Unis et la République Populaire Démocratique de Corée et comme possible premier pas vers une normalisation et une détente des relations entre les différents acteurs de cette partie de l’Asie. À travers une analyse détaillée des rapports que les pays de la région (Chine-Japon-Russie-USA-Corée du Sud- Corée du Nord) entretiennent, l’auteur dégage un premier constat : plus le monde se globalise plus les intérêts régionaux se renforcent.
Nous sommes passés depuis la chute du mur de Berlin en 1989 d’un monde bipolaire, soutenu par les États-Unis et l’URSS, à un monde unipolaire caractérisé par la puissance politique, économique et militaire américaine au début des années 90, période qui précède l’ère de la globalisation du début du 21e siècle et qui depuis l’avènement annoncé (et vérifié) des puissances que l’on a pu appeler émergentes (Brésil, Chine, Inde, Corée, entre autres) ouvre la voie à un monde multipolaire. Si la chine accuse encore du retard sur le plan politique et militaire, la balance économique et stratégique penche vers l’Asie ; les USA, conscients de ce changement de paradigme, sont attachés à deux intérêts dans leur politique de défense dans la zone Asie : d’une part la dénucléarisation de la RPDC, de l’autre la création d’une organisation multilatérale de coopération et de sécurité en Asie du Nord-est afin de prévenir tout conflit dans la région. Pour chacune de ces questions, une place prééminente est accordée à la Chine.
En ce qui concerne la Corée du Nord, les Chinois ont pris l’habitude de traiter leurs relations bilatérales avec la RPDC séparément de la question nucléaire. Trop fragiliser le régime nord-coréen voire assister à son effondrement reviendrait à compromettre la tranquillité de la région avec des conséquences importantes pour Beijing au titre desquelles : la réduction des investissements sud-coréens en Chine en raison de l’effort financier qu’imposerait une absorption de la Corée du Nord par le Sud ; les éventuelles revendications de la Corée nouvellement réunifiée sur les territoires chinois frontaliers et peuplés par une forte minorité ethnique coréenne (cas de la province du Jilin) ; enfin la possibilité de retrouver la présence américaine à sa frontière. De l’autre côté, tout en assurant la viabilité économique du régime de Pyongyang, la Chine s’active diplomatiquement pour la dénucléarisation de la RPDC, non par crainte d’une attaque mais par souci du risque de prolifération nucléaire, en particulier de la part du Japon et de Taiwan. Le statu quo que s’efforce de maintenir Beijing naît du souhait de ne rien voir contrecarrer sa croissance économique qui serait fortement entamée en cas de conflit ouvert (la Chine est en effet le premier partenaire économique des deux Corées, et le deuxième des États-Unis). Cette politique à fils tendus est reflétée par l’épineux cas de Taiwan, l’île séparatiste. Tout en revendiquant sa légitimité sur ce territoire, la Chine ne saurait se battre militairement contre les États-Unis, car elle a besoin de maintenir ses marchés d’exportation vers les EU et l’Europe (ses deux plus importants partenaires commerciaux). Réciproquement, Washington ne pourrait tolérer un affrontement car il doit préserver ses relations économiques avec Beijing pour protéger les investissements américains en Chine et pour continuer à vivre grâce aux crédits chinois.
La question de la dénucléarisation de la RPDC fait, à travers d’autres conflits géostratégiques, ressortir l’inextricable et complexe relation entre résolution en commun d’un problème et la divergence des intérêts étatiques. La concurrence économique des divers pays asiatiques et la présence militaire américaine ont pour l’instant agi comme rempart à la confrontation armée. Mais devant la montée des pays que sont la Corée du Sud et la Chine, le développement de leur capacité militaire, la reprise économique du Japon ou la simple volonté de ne pas voir une hégémonie américaine en Asie (cas de la Russie), il est d’avis que la compétition entre les différents acteurs de l’Asie du Nord-est devra s’accompagner d’une coopération forte si la puissance unificatrice américaine devait s’estomper. D’où la nécessité de créer les bases d’une organisation de coopération et de sécurité par les pays concernés. Cette organisation asiatique, si elle existait, permettrait entre autres de lutter contre les antagonismes japonais et chinois en les intégrant dans une politique d’avenir commune ; l’auteur fait à ce titre le rapprochement avec la construction de l’Europe pour contrer les velléités de chacun de ses pays membres, notamment après le dur exemple donné par l’Allemagne à l’aulne de la Deuxième Guerre mondiale. À cette heure, la seule force unificatrice de la région réside dans la seule présence militaire américaine. Cependant, si elle devait voir le jour prochainement, une organisation de sécurité asiatique devrait passer par un consensus autour de la question coréenne.
La résolution de ce conflit vieux de plus de 50 ans passe privilégiement par un dialogue intercoréen. Pendant dix ans, de 1993 jusqu’en 2003, les relations des deux pays ont connu une embellie, d’abord par l’entremise de la politique « rayon de soleil » de Kim Dae-jung, puis par la main tendue par Roh Moo-hyun, « paix et prospérité ». Ces dernières années ont vu se renverser la tendance sous la houlette du gouvernement de Lee Myung- park, élu en 2008, et un alignement de la politique de la Corée du Sud sur la ligne dure des États-Unis envers la RPDC, avec comme préalable à tout dialogue la suspension des activités nucléaires de la Corée du Nord. Pour l’heure Séoul refuse toujours de reprendre les visites pour les Sud-Coréens des sites touristiques du Nord et la survie de Kaesong[1] pose problème. L’épisode du Cheonan[2] en mai 2010 n’a rien fait pour arranger les choses.
De fait on ne peut poser la question des deux Corées sans parler de réunification. Les premiers concernés, les Sud-Coréens, se montrent eux-mêmes sceptiques face à cette éventualité ; ils l’envisagent peu ou pas, du moins à courte échéance. Les retombées économiques et sociales seraient en effet considérables, bien supérieures à celles que l’Allemagne avait dû affronter. Ainsi comme le souligne Patrick Maurus dans La Corée dans ses fables : « le fameux han (sentiment coréen) a pris un sens tout nouveau, rancœur (wonhan) contre la division et ses causes, puis rancœur contre soi de ne pas y avoir mis fin, enfin rancœur de ne plus vraiment cherche à la surmonter ». Si l’on peut raisonnablement s’attendre à peu de changements de la part du régime de Pyongyang malgré le changement de leader, on peut pareillement redouter peu de changement de position de la part des autres pays, du moins dans un avenir immédiat. Il est pourtant admis que chacun des partis pourrait à long terme tirer avantage d’une Corée unie et pacifiée. Le statu quo avec une Corée divisée semble encore prévaloir sur les efforts à fournir et les incertitudes d’une péninsule unifiée.
Julien Paolucci
[1] Ville de Corée du Nord à 9 kilomètres de la frontière avec le Sud et où est établie une zone économique spéciale qui abrite un « parc industriel intercoréen ».
[2] Une corvette de la Marine sud-coréenne, le Cheonan, sombre dans la mer Jaune. L’enquête internationale (Japon+USA) établit qu’une torpille nord-coréenne est à l’origine du naufrage, ce que dément Pyongyang.
CORÉE DU NORD : DÉNUCLÉARISATION ET SUCCESSION DE KIM JONG-IL
CLAUDE HELPER
L’Harmattan, 336 pages, 32 €.
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