Indiscutablement Chat chelou est un album qui a des atouts. On est très loin de la poésie sage des Petits pains au nuage , avec déjà des personnages-chats, qui a valu à Baek Hee-na d’être récompensée à Bologne, mais ce matou voyou à la dégaine débraillée ( le haut de son corps est foncé, et clair à partir de la taille, ce qui suggère absolument la silhouette d’un gros gaillard, avec des yeux à la fois étirés et inégaux qui lui donnent un air méchant, un vrai stray cat aux crocs pointus, qui fait jaillir ses griffes ) est une figure patibulaire qui peut faire frémir de plaisir les jeunes lecteurs qui découvriront cette aventure. La couverture de l’album avec le titre français au-dessus de la mine sournoise et satisfaite à la fois de notre anti-héros est une vraie promesse.
Et puis il y a le poussin. Ébouriffé, encore froissé par une naissance plutôt violente, il séduit aussitôt le lecteur et le matou. Ses premiers pas dans le monde, sa maladresse, son étourderie ne manqueront pas d’amuser et d’émouvoir les enfants et leurs parents. Le dessin de Baek va droit au but, et cette volonté de figurer saleté, violence mais aussi une forme d’affection bougonne et absolue, qui lie le chat à son petit protégé, est d’une force qui ne laisse pas indifférent. Les couleurs jaunâtre, grisâtre, brunâtre (!) comme le coup de crayon acéré de l’illustratrice, soulignant par exemple la brusquerie des mouvements, renforcent l’intérêt et la curiosité du lecteur. Baek Hee-na a réussi son coup !
Mais pourquoi donc cette histoire de gestation d’un oeuf par un chat mâle assurément, qui de plus expulse le poussin par une voie absolument inhabituelle ? L’ensemble ne manquera pas d’interroger le lecteur. S’il est adulte, l’absurdité de la situation l’interpellera, peut-être interrompra sa lecture, et s’il s’agit d’un petit enfant, auquel l’album est a priori destiné, il ne manquera pas de s’interroger : les papas peuvent-ils avoir un bébé ? Mais par où donc sort ce poussin ? Et pourquoi donc les poules désignent-elles le chat comme « Maman de Poussin » ? Cette traduction littérale du titre qui est en fait la façon de s’adresser aux mères en Corée est une ambiguïté supplémentaire. Peut-être l’auteure a-t-elle voulu susciter questions, réponses et discussions? Mais l’ensemble est trop peu développé pour en être sûr.
Alors s’il est vrai que cette histoire ne manque pas de fantaisie, que la tendresse, un peu trop rapidement évoquée, du matou pour le poussin est assez convaincante, cette deuxième partie de l’album peut laisser dubitatif. À lire donc avec du recul et de l’humour pour aider l’enfant à prendre un peu de distance, et à ne garder de cette aventure que le sel de son audace et de sa créativité !
CHAT CHELOU
DE BAEK HEE-NA
Philippe Picquier, 40 pages, 14.5 €