Des écrivains tels que Park Wan-seo, Hwang Sok-yong, Lee Mun-ku, Cho Se-hui et Choi In-ho, font leur entrée sur la scène littéraire et, grâce à des œuvres exceptionnelles, posent les jalons d’un art romanesque qui allait s’épanouir les décennies suivantes. Pourtant, les années 1970 sont aussi une période inconnue, douloureuse. La modernisation du pays sonne la mobilisation générale à marche forcée. Alors que la Corée aurait pu sortir de l’ombre de l’extrême pauvreté, il n’a pas été possible de former une structure de travail raisonnable, ni de créer un mode de vie approprié aux changements économiques qui s’ensuivirent. Le rapide développement dû à la politique de Park Chung-hee a eu pour conséquence la montée de l’Etat fétichiste et le délabrement de la vie de tous les jours.
De plus, le projet de modernisation nationale du gouvernement de Park Chung-hee a été promu de façon totalitariste et paternaliste, faisant suite à l’émergence du système Yushin (réformes revitalisantes), et marquant l’entrée dans une période politique noire qui réprimait vigoureusement les idéaux de libération modernes que sont la démocratie et la bienveillance. A cause de l’idéologie de l’époque, anti-communiste, autoritaire et orientée vers la croissance, combinée avec le ‘Yushin d’octobre’, les protagonistes des romans des années 1970 expriment leur oppression et leur impuissance, proche de l’impression de se faire anéantir par des monstres. Cependant, à cette époque, le chagrin et l’espoir, comme la dépression et la passion, cohabitent. Derrière le sentiment de dépression hystérique se cachent un désir de liberté et un esprit critique qui résiste à l’oppression et à l’injustice. Pour reprendre Kojin Karatani « Le roman est l’expression qui remplace l’action politique à une période qui rend cette dernière impossible. » Le roman n’est pas le domaine exclusif de la jeunesse littéraire, c’est aussi un manuel de conscience et un espace de dialogue public pour les intellectuels.
Les romans des années 1970 mettent en lumière un condensé de la modernisation. En particulier, Gwanchon Supil et Our Town, de Lee Mun-ku, illustrent le pouvoir destructif de la modernisation par les chagrins d’un homme exilé. L’œuvre de Lee est inspirée de sa propre vie. Originaire d’une famille d’aristocrates de la province du Chungcheong-do, il perd son père gauchiste pendant la guerre de Corée. S’ensuit la disparition de ses frères, ses sœurs et sa mère. Orphelin de guerre, il quitte son village natal pour la ville. Là, il connaît la pauvreté, et retourne finalement à la campagne. Ainsi, à travers un procédé d’exil et de retour, l’écrivain fait l’expérience de la violence de la modernité qui finit par tout détruire. Gwanchon Supil représente le processus par lequel le père de Lee, un aristocrate érudit spécialiste de littérature chinoise classique, et ses amis de jeunesse, sont heurtés et étouffés par la mer agitée de l’histoire moderne. L’écrivain Kim Joo-young, un contemporain de Lee, fait l’éloge du roman de ce dernier comme le chef d’œuvre que tout écrivain coréen rêve d’écrire, mais dont peu sont capables, pour la façon dont le roman dépeint les profondeurs de la modernisation coréenne en usant d’un langage étonnamment beau et mélancolique. D’autre part, Our Town expose la réalité d’un village agricole, exploité par les villes et oppressé par la tyrannie des autorités ; le roman formule clairement une critique de la modernisation dictée par le gouvernement.
Lee dresse le portrait de la mélancolie de l’homme moderne du tiers-monde. Ses personnages ont été exclus du royaume de la liberté, mais ils errent avec sans répit, car ils ne peuvent ni reconnaître leur perte, ni retourner dans le passé.
Chez Park Wan-seo, le côté sombre du développement économique est mis en lumière par l’utilisation d’un langage précis. Ses œuvres principales incluent les romans A Faltering Afternoon et A Bad Harvest in the City, et les nouvelles ‘The Camera and Walkers’, ‘Teaching Humiliation’, ‘Near Buddha’, ‘The Cries of an Earthworm’ et ‘Similar-looking Rooms’. Avec des observations pointues et détaillées sur la vie de tous les jours, ses œuvres dépeignent la tendance béotienne propre à la société coréenne – un mode de vie uniforme et un esprit évasif – et une vie qui a perdu sa vitalité, comme sous l’emprise d’une colonisation. En particulier, Park se concentre sur le fait que le public supporte le projet de modernisation nationale, lié à l’envie d’avoir un chez-soi agréable, et de faire partie de la classe moyenne, matériellement aisée. La maison de la classe moyenne devient le cadre principal de ses romans, et les femmes issues de cette classe sociale apparaissent comme des narratrices critiques. La génération de la guerre de Corée essaye de compenser ses blessures par l’atteinte d’une vie prospère. En conséquence, les rêves sur la famille et l’idéologie maternelle s’affirment. Park a été une femme au foyer à plein temps jusqu’à ce qu’elle publie son premier ouvrage, à 40 ans. S’inspirant de sa propre expérience, elle déstructure les conventions sur les femmes de classe moyenne et leurs foyers. La maison familiale est représentée comme un endroit qui dissimule des mensonges, pendant que les protagonistes féminins sont autant anxieux que des malades mentaux, à la limite de l’hystérie, rarement chaleureux et dociles.
Hwang Sok-yong a sa place dans la liste des écrivains éminents des années 1970. Avec un talent hors pair, il a proclamé sa résistance contre les abus de l’industrialisation et la répression politique du gouvernement dictateur. En privilégiant des personnages politiquement conscients, son but est d’utiliser la littérature comme un outil de résistance politique. Il dépeint le travailleur manuel et très viril comme un protagoniste idéal pour le sujet de la résistance. Dong-yeop, dans Les terres étrangères, qui raconte l’histoire d’ouvriers grévistes, est un personnage idéal pour les romans de Hwang. Derrière le désir de masculinité se cache la frustration d’avoir été opprimé par la dictature de Park Chung-hee, système masculin et patriarcal. Pour Hwang, l’époque de l’industrialisation ordonnée par le gouvernement était celle où l’homme affaibli errait sans but après avoir été chassé du paradis. La nouvelle La route de Sampo exprime les désillusions de l’industrialisation et l’idée d’un futur sans espoirs, en décrivant le chagrin de la dérive comme structure émotionnelle de l’époque. Les deux hommes qui errent sur les routes sont issus de la diaspora, exilés de Sampo, leur village natal, communauté traditionnelle célèbre pour son sol fertile et ses eaux, devenu un site touristique. La perte du lieu des origines et l’industrialisation de Sampo deviennent synonymes du dommage causé à la masculinité. D’autre part, une série de romans qui se passent au Vietnam, comme The Bird of Molgaewoel, décrivent la prise de conscience des victimes de la présence des troupes déployées au Vietnam de façon dramatique. Les hommes souffrent physiquement et psychologiquement à cause de l’injustice et de leur statut de victime, rattrapés par l’épouvantable tourbillon de l’Histoire. Comme s’il s’agissait de combattre un pays ultra-masculin, tous les personnages masculins de Hwang ont un désir de masculinité marqué, une aspiration symbolique à une subjectivité résistante.
Contrairement à Hwang, Choi In-ho rejette l’idéologie de production et de progrès en représentant des jeunes gens désireux de décadence et de paresse. Hometown of the Stars (1973) est un best-seller représentatif de la période de l’industrialisation. Le protagoniste Mun-ho mène une vie futile et décadente faite d’alcool, de sexe et de journées à paresser, preuve de son désaccord et de sa tension avec l’époque. La description de Séoul est hautement subjective. Par exemple, lorsque le panneau d’affichage du cinéma présente Alain Delon embrassant une belle femme, Mun-ho se demande pourquoi « il n’y a pas de scène comme celle-ci dans le film. » Dans un autre exemple, il y a une pancarte au milieu d’une intersection sur laquelle on peut lire « Nous construisons comme nous nous battons. » Le roman retrace l’existence mélancolique d’un jeune homme dont on a hypothéqué l’individualité et la liberté et qui vit déchiré entre son impossibilité de s’adapter à la société et sa peur d’un procédé d’élimination. La mort de sa maîtresse Gyeong-ha, une hôtesse de bar également maîtresse de tous les hommes, lui sert d’opportunité pour entrer dans la société. Pourtant, ce mouvement est loin de lui faire atteindre la véritable maturité; comme écrasé, il abandonne. Gyeong-ha est une femme qui a enchanté la jeunesse des années 1970. Personnage tragique abandonné après être passée d’un homme à un autre, elle est l’équivalent de la liberté perdue et de l’innocence entachée par le pouvoir. La prose sensuelle de Choi dresse un portrait empli du chagrin de la jeunesse piétinée par le père omnipotent sous la bannière de la modernisation nationale, et exprime le désir de démocratie et de liberté sous-jacent. La prostituée devient la métaphore de l’aliénation dans la littérature coréenne.
D’une part, la littérature des années 1970 utilise les injustices issues de la modernisation comme une métaphore de la diminution de la subjectivité. D’autre part, elle dit le désir de démocratisation. Elle résiste face à la réalité dans laquelle l’individu est relégué à être une simple partie de la société industrielle où la liberté a été supprimée. Comme cela est illustré dans La petite balle lancée par un nain de Cho Se-hui, pendant l’industrialisation, les coréens n’étaient pas différents du père nain qui perd sa maison à cause d’un projet de développement urbain. Comme la taille minuscule du père nain, la subjectivité est complètement étouffée. Néanmoins, grâce à sa fierté, la résistance contre les valeurs décadentes pour laquelle il risque sa vie, et son esprit de désobéissance et d’intransigeance, la littérature des années 1970 fait aussi le portrait d’un géant parmi les citoyens ordinaires, le peuple, les ouvriers et la population indigente des villes.
LEE Mun-ku (1941- 2003)
Né à Boryeong, province du Chungcheongnam-do. Lee a perdu son père et ses frères pendant la guerre de Corée. Inspiré de ses propres expériences avec les fermiers, il transforme leurs problèmes en œuvres littéraires, ouvrant ainsi un nouveau chapitre pour le roman agraire. Son œuvre comprend Gwangchon Supil, Our Town et I Have Stood or Worked for too Long.
HWANG Sok-young (1943 – )
Né à Jangchun, en Mandchourie. Hwang vient en Corée après la fin de la guerre de Corée, et est élevé à Séoul. Après les publications successives de Les terres étrangères, Monsieur Han, et La route de Sampo, il apparait comme un des écrivains chef de file de la littérature populaire des années 1970. De même que son roman historique Jangkilsan, Le Vieuxjardin, L’invité et L’ombre des armes ont été traduits en anglais, français, allemand, espagnol, suédois et chinois.
CHOI In-ho (1945 – )
Né à Séoul. Romancier le plus célèbre des années 1970 pour le thème de l’industrialisation, il est reconnu tant pour ses romans populaires que sa haute tenue littéraire. Il a aussi adapté plusieurs de ses propres romans comme Hometown ofthe Stars, The March of the Fools et Whale Hunt en scénarios, et a apporté une contribution unique au genre.
CHO Se-hui (1942 – )
Né à Gapyeong, province du Gyeonggi-do. Cho est l’auteur de ‘La petite balla lancée parun nain’, qui est la plus connue de ses histoires mettant en scène des nains. Ses autres œuvres incluent Time Travel et Roots of Silence. ‘La petite balle lancée par un nain’ a été traduit et publié en anglais, français, allemand, russe, japonais et chinois.
PARK Wan-seo (1931 – )
Née à Gaepoong, province du Gyeonggi-do. En 1970, alors âgée de 40 ans, elle fait son apparition sur la scène littéraire D’après sa propre expérience de la guerre de Corée, elle traite de la tragédie de la division du pays et dépeint la vie des classes moyennes. Delusion, Les piquets de ma mère, Stake, A Very Old Joke et Kindhearted Bokhee font partie de ses œuvres.