Loin de l’auteur l’idée de se focaliser sur la fuite de Corée du Nord, quand bien même les premiers chapitres s’y déroulent en dévoilant sa misère, la famine dont son peuple souffre ; les frontières matérielles ont tôt fait de s’effacer à mesure que le roman avance. En effet, Bari se retrouve rapidement à passer le fleuve Tumen pour atteindre la Chine, avant de s’entasser dans une cale de bateau et de débarquer au Royaume Uni. Une véritable odyssée racontée par une fille encore jeune, et qui aura tôt fait d’abandonner ses illusions sur la bonté du monde.
En guise d’illusion, Bari fait des rêves, comme sa grand-mère chamane. Elle y voit ce qui se passe ailleurs et peut y communiquer avec les esprits, notamment ceux de son chien et de sa grand-mère qui l’accompagnent dans son périple autour de la Terre. Ces séquences oniriques qui entrecoupent le récit sont autant d’allégories de la triste réalité à laquelle fait face notre personnage. La mort est très présente dans le roman, et celle-ci n’a ni couleur ni religion.
Chaque fois que les circonstances m’ont amenée à parler, avec les uns ou les autres, des pays que nous avons quittés, nous avons fini par évoquer la guerre, la famine, la maladie, le pouvoir détenu par des militaires violents et redoutables. Partout dans le monde, aujourd’hui encore, des gens meurent parce qu’ils ont tenté de passer une frontière à la recherche de conditions de vie meilleures. 190
Les rencontres de Bari lors de son voyage puis dans sa nouvelle vie londonienne sont multiples, tous comme les enseignements qu’elle en tire. Coréens, Chinois, Pakistanais, chamanistes, chrétiens, musulmans, nous sommes tous égaux face à la douleur. Et face aux souffrances il ne nous reste plus qu’à espérer comme Bari, à rester courageux et trouver des forces pour continuer à nous battre en dépit de toutes les frontières, mentales ou matérielles. En quelque sorte, les choses sont faites ainsi, et c’est la vie dans toute sa puissance que nous conte Hwang Sok-yong, remettant avec brio une légende chamanique traditionnelle au goût du jour. Constant voyage entre la vie et la mort, entre les rêves et la réalité, l’incarnation de cette vie que nous connaissons tous porte maintenant un nom : Princesse Bari.
PRINCESSE BARI
DE HWANG SOK-YONG
Traduit du coréen par CHOI Mikyung et Jean-Noël JUTTET
Philippe Picquier, 288 pages, 8 €.
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