L’album est librement inspiré de l’un des premiers romans en langue coréenne, écrit au début du XVIIe siècle par HǒKyun¹, un auteur qui à force de contester l’ordre établi et de fomenter la révolte a fini sur l’échafaud. Le personnage de Hong Kiltong, fils obéissant bien qu’illégitime, va par son respect des valeurs forcer à son tour le respect qu’on lui doit. Héros au service des valeurs du confucianisme originel, contre la corruption du système et de ses dirigeants, on l’évoque comme un Robin des bois coréen, mais il apparaît plutôt pourfendeur de l’injustice, comme son créateur.
Pas de faiblesse, pas de temps mort, aucun relâchement dans cette aventure menée tambour battant et de main de maître par Yoon-sun Park, créatrice aux talents multiples, dont les différents opus de bande dessinée ont été célébrés dans Keulmadang. L’auteur respecte le texte, le ton, les péripéties du roman tout en éclairant l’atmosphère du récit d’une dimension théâtrale qui rappelle le spectacle de rue, ses barbons, ses pleureuses, ses mégères, et un héros qui se joue de toutes les embûches.
L’adaptation en bande dessinée est éclatante, couleurs vives, mouvement, rythme. Le dessin est expressif, et la mise en page ménage ses effets. Un classique alignement des cases qui saturent la planche ouvre sur le surgissement d’un événement centré autour duquel se déploient les différents moments de l’action ; plus loin, des vignettes d’encoignure font office d’ouverture de séquence, comme dans un film. Certaines illustrations occupent une pleine page pour clôturer un épisode ou intensifier le drame : par exemple l’avis de recherche lancé contre le héros, qui rappelle les WANTED américains, lancés contre les outlaws, y compris justiciers. Yoon-sun Park excelle à représenter le lien entre contexte et événements. Stylisation des montagnes, nuages qui déploient leurs circonvolutions rosées évoquent quant à eux la dimension merveilleuse du récit : Hong Kiltong maîtrise en effet la magie taoïste, mais ne l’utilise qu’à bon escient, en tout cas pour atteindre son objectif.
Le récit est trépidant, rythmé grâce à l’accumulation des cases dans la planche, l’action est dessinée en plans rapprochés, gros plans, ou au contraire plans larges qui renforcent cette référence cinématographique et restituent fidèlement les décors de l’époque, les codes vestimentaires, tout en les expliquant par le biais des dialogues, souvent truculents, toujours pleins d’humour, comme dans nombre de ces feuilletons historiques coréens, ces dramas aujourd’hui bien connus en France.
Le maintien du personnage de Kiltong dans une enfance prolongée en fait un héros à destination d’un public jeune, peut-être parce que Yoon-sun Park se remémore les extraits du roman lus et étudiés à l’école, plaçant ainsi son interprétation à hauteur d’enfant. Probablement est-ce là le véritable défi : les aventures de ce petit coréen d’autrefois sauront-elles conquérir le public d’ados des mangas ? Il ne faudra pas manquer de les leur faire découvrir, mais nul doute que la couverture de l’album, où le petit personnage hilare et triomphant trône au sommet d’une montagne en jonglant avec un gros rocher encadré par les caractères de son nom en lettres scintillantes, constitue un sacré atout !
- On lira L’histoire de Hong Kiltong, HǒKyun, trad. du coréen par Patrick Maurus, Gallimard.
LES AVENTURES DE HONG KILTONG
YOON SUN PARK
Misma, 60 pages, 18€.
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