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Interview de Claire Do Sêrro, Directrice littéraire de Nil éditions

Comment avez-vous découvert le roman Kim Jiyoung, née en 1982 ?

Je l’ai découvert grâce à un agent littéraire qui me l’a proposé. Il avait eu la bonne idée de faire traduire l’intégralité du roman en anglais, ce qui m’a permis de le lire intégralement avant de me décider (et pas sur la base d’un rapport de lecture). Le pitch m’avait tout de suite attirée, de même que sa réception en Corée. J’ai également eu la chance de me rendre à Séoul pour une foire du livre et d’y rencontrer l’autrice – un grand moment !

Qu’est-ce qui vous a convaincu dans ce texte ?

Son sujet essentiel et universel – la maternité – traité avec une économie stylistique et un engagement politique. Le roman parvient à dénoncer la situation de beaucoup de femmes tout en étant dans la description d’une individualité, d’une histoire propre. Le signe d’un grand roman. Son accueil en Corée également : le roman avait en effet fait grand bruit, suscitant de vives polémiques. J’aime la littérature qui interroge, qui remue !

Pouvez-vous nous parler de la dimension féministe et universelle du roman ?

La dimension féministe est centrale dans le roman, tout en ne se nommant pas à proprement parler. Cho Nam-Joo a choisi de donner la voix à une femme « commune » qui devient mère, dans une société patriarcale qui lui refuse d’être autre chose qu’une mère. Son statut de femme est en quelque sorte nié. Et elle montre avec brio comment cette situation peut conduire à la folie. Quand j’étais à Séoul, les coréens n’avaient de cesse de s’étonner que la France, pays de Simone de Beauvoir, ait traduit ce roman ; pour eux, nous avions depuis longtemps dépassé ces problématiques. Que ne fut leur surprise quand je leur avouais que nous étions loin de là. Avec un congé paternité à minima et une société très culpabilisante pour les mères – qui assurent encore une grande partie des tâches liées aux enfants et au ménage et se retrouvent souvent proches du burn-out quand elles choisissent d’avoir également une carrière (prenante) -, on est bien loin d’une société égalitaire où la femme pourrait se réaliser comme elle le souhaite dans son rôle de mère ET de femme.


Le style du roman est volontairement distant voire clinique, c’est une particularité unique par rapport à d’autres romans similaires, est-ce un atout selon vous ?

Oui. Je pense qu’en utilisant un style clinique, l’autrice nous montre un réel « brut », laissant au loisir le lecteur d’en tirer ses propres conclusions. En éloignant tout marqueur d’affect, en mêlant narration romanesque et éléments factuels, chiffres, études, elle propose un roman d’une grande force.

La fin du livre est très ouverte, avez-vous une vision plutôt optimiste ou pessimiste de l’avenir de Kim Jiyoung ?

Plutôt optimiste lorsque l’on considère les avancées actuelles et les répercussions du roman en Corée, où il a même été discuté en haut lieu au sein du gouvernement ! Mais il reste bien sûr encore beaucoup à faire pour que Kim Jiyoung ne choisisse de s’enfermer dans une folie sourde, faute de solutions.

Pouvez-vous nous parler des traducteurs du roman ?

Oui, ce sont deux traducteurs très talentueux et complémentaires, habitués à travailler en binôme. Pierre Bisiou est français et également éditeur (il a créé les Editions Matin Calme, dédiées au polar coréen) et Kyungran Choi est une traductrice coréenne qui travaille également au rayonnement culturel de la Corée à l’Institut coréen de Paris.

Depuis sa parution en grand format il y un an, comment le livre a-t-il été reçu en France ?

Très bien. La presse a été fort enthousiaste et les ventes ont suivi ! Malgré la crise de la Covid (le roman est paru en janvier 2020) et l’annulation de la venue de l’autrice pour la promotion, nous avons dépassé les 10 000 ex. vendus.

Envisagez-vous de publier d’autres romans de Cho Nam-joo ou d’autres romans coréens de façon générale ?

Nous allons publier son prochain roman… affaire à suivre !

Suite à l’annulation de la venue de l’auteure en France (à cause de la Covid-19), envisagez-vous de réorganiser une tournée dans le pays dans les mois à venir (ou en 2022) ?

Nous aimerions la faire venir pour la parution du prochain roman, ce qui serait, bien sûr, formidable.

Pensez-vous que la littérature coréenne va prendre de l’envergure dans les années à venir au sein de la production éditoriale française ?

Tout à fait. La culture coréenne est déjà très présente dans le cinéma, la gastronomie, la musique, la mode… le succès de Kim Jiyoung née en 1982 et le travail de Pierre Bisiou, notamment, attestent bien de cet intérêt croissant pour la littérature coréenne en France.

Comment s’est déroulée la passation vers la version poche ?

Il s’agit d’un coup de cœur de l’éditrice, Vanessa Gennari, chez 10-18. Quand je lui ai parlé du roman, elle a tout de suite eu envie de lire et m’a suivie !

Un dernier mot pour convaincre pleinement les lecteurs de lire ce roman ?

Kim Jiyoung c’est vous, c’est moi, c’est nous ! C’est à la fois un « je » incarné par une héroïne perdue dans une société qui veut décider pour elle, et un « nous » collectif parce qu’il reste tant à faire. C’est une plongée dans une Corée à deux vitesses : diablement moderne et bloquée dans ses contradictions ancestrales. Allez-y, foncez, vous ne le regretterez pas !

par Léa Guignery (Léa Touch Book)


Merci à Claire Do Sêrro pour cet entretien !
Vous pouvez retrouver Kim Jiyoung, née en 1982 en librairie en grand format (éditions Nil) et en poche (éditions 10/18).

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