C’est toujours avec une certaine méfiance que l’on aborde les livres de témoignages de transfuges nord-coréens sur (ou plutôt contre) la Corée du Nord, au motif, que l’on y trouve par avance les mêmes constats, les mêmes traits forcés, fussent-ils vrais, la même volonté de choquer ou créer une fausse empathie. Il vaut mieux être très sélectif en matière de lectures sur la Corée du Nord et donner la préférence aux ouvrages qui contextualisent, non pour justifier mais pour analyser ce pays, produit de l’histoire coréenne et de la mainmise des grandes puissances de l’époque. Le marketing éditorial prend souvent le pas sur la compréhension historique des données.
Deux coréennes est l’histoire d’une rencontre d’abord, en Angleterre, entre une femme sud-coréenne, francophone, et une femme nord-coréenne réfugiée, et qui, confiance mutuelle acquise, entreprennent de rédiger un ouvrage. La Nord-Coréenne raconte, la Sud-Coréenne écrit. Et chemin faisant, elles mesurent combien elles sont, chacune à leur manière, victimes de leurs représentations, de leur culture. Les traditionnelles oppositions nord/sud, misère/opulence, dictature/liberté n’est pas ici un enjeu, ni du livre ni de leur rencontre. Le récit débute dans l’enfance de Park Ji-hyun, et s’achève au moment où elle peut quitter la Corée du Nord en 2005 pour se rendre en Angleterre où elle réside aujourd’hui. De la petite enfance à la maturité, Ji-hyun raconte la vie nord-coréenne, les insuffisances, les aberrations, le manque, l’endoctrinement régulier, mais aussi les moments d’émotion, les joies, le partage. Jamais la critique annihile l’amour qu’elle porte à son pays. La vie de Ji-hyun se poursuit avec son passage en Chine où elle est vendue par sa propre famille, mène une vie misérable, séjourne en prison dans des conditions carcérales épouvantables. C’est à son amie Seh-Lynn que l’on doit cette biographie critique certes, acerbe même, mais toujours nuancée et de ce fait rendue crédible, grâce au travail d’écriture, un style relevé et fluide, plaisant, mâtiné de termes ou de formules en coréen, traduits dans le cours du texte, agréable à lire pour les non coréanophones, même si les coréanophones souriront en lisant « Grand-mère Halmeonni ». Mais, c’est là un détail.
L’originalité du livre tient à la rencontre entre les deux protagonistes, l’une dont la vie est matière à livre et l’autre qui transforme cette matière en texte. Au fil du temps, ces deux Coréennes, c’est ainsi qu’il faut les appeler, tissent des liens d’amitié, facilités par une langue à peu près commune. On pourra regretter toutefois l’ancienneté de l’histoire qui se déroule sous l’ère de Kim Il-sung puis Kim Jong-il et évite (Park Jihyun ayant quitté la Corée du Nord en 2005) la période Kim Jong-un. Dommage, l’évolution du pays aurait été intéressante à noter. Il reste un livre plaisant à lire, qui ne fait pas l’impasse sur la famine de 1995, sur les séances d’autocritique, mais se garde bien de séparer systématiquement, comme le font les pamphlets habituels, le peuple de ses dirigeants, comme s’il n’existait pas de pacte social en Corée du Nord, quelle que soit sa teneur et le regard que l’on y porte. Pour les lecteurs curieux de la Corée du Nord, on pourra poursuivre sa lecture avec Corée du Nord, un État-guérilla en mutation, de Philippe Pons (Gallimard) ou pour une expérience de vie quotidienne à Pyongyang, La Corée du Nord à bicyclette, de l’ambassadeur John Everard (Decrescenzo éditeurs).
Deux Coréennes
Jihyun PARK et Seh-Lynn
Buchet-Chastel, 264 pages, 19€
2 commentaires