En Corée, région scindée en deux pays officiellement toujours en guerre, le service militaire reste une obligation. Si les hommes nord-coréens sont contraints à un service de 10 ans (le plus long au monde), il est beaucoup moins étendu au Sud mais n’en reste pas moins inévitable.
Etablie en 1957, la loi requiert aujourd’hui des hommes de nationalité sud-coréenne de 18 à 28 ans un service d’une durée approximative de 20 mois (ou plus, selon la branche). Toute tentative d’évitement est répressible de 18 mois de prison. En 2002, le chanteur Yoo Seung-jun (Steve Yoo) avait causé une réelle polémique en acquérant la nationalité américaine juste avant le délai pour son service militaire, et ce malgré le fait qu’il avait promis de manière répétée de s’engager. L’affaire est un scandale sans nom, et résulte en le bannissement de Yoo du territoire coréen.
Face à cela, il n’est pas si surprenant qu’aujourd’hui toute exemption potentielle fasse débat. Pour le moment, la loi stipule que les athlètes récompensés par une médaille olympique ou une médaille d’or aux Jeux Asiatiques soient exemptés, ainsi que certains musiciens classiques dont la performance ait été reconnue internationalement et récompensée par de prestigieux prix. Face à l’impact phénoménal du groupe BTS nationalement et internationalement, la question se pose de savoir si la loi est susceptible de s’étendre aux artistes de K-pop, à commencer par les sept membres eux-mêmes.
Il est nécessaire de préciser avant tout qu’une demande d’exemption n’a jamais été formulée par aucun membre de BTS ni même par leur label, HYBE. Bien au contraire, les membres ont exprimé plusieurs fois leur envie de servir leur pays comme tout autre Coréen.
« [Le service militaire] est un devoir important pour notre pays. Je pense que je vais faire de mon mieux et travailler dur jusqu’à ce que je sois appelé. »
Kim Seokjin (Jin), interview pour le magazine Rolling Stone en mai 2021.
La proposition a été amenée en juin dernier par le député Yoon Sang-hyun. Une récente loi passée en décembre 2020 accordait déjà un premier délai aux artistes de K-pop, si certains critères se voyaient remplis, reculant ainsi l’âge limite de 28 ans jusqu’à 30 ans. Surnommé « la loi BTS », l’amendement est passé alors que l’aîné du groupe, Kim Seokjin, fêtait ses 28 ans.
La proposition d’exemption de Yoon quant à elle devait être examinée le 9 septembre dernier par la Commission Nationale de la Défense, néanmoins la discussion a été reprogrammée par manque de temps lors de l’Assemblée. Le gouvernement devrait se prononcer avant la fin de l’année. La Commission avait néanmoins exprimé en août la difficulté d’établir des critères parfaitement objectifs dans le domaine de la pop culture : être exempté reviendrait potentiellement à avoir un impact aussi exceptionnel que celui de BTS, qui a placé la barre très haut.
Outre leurs multiples récompenses internationales, dont une nomination aux Grammy cette année, leur succès dépasse aujourd’hui complètement le domaine musical. Jeux, mode, littérature, ainsi que de nombreux deals publicitaires avec des conglomérats tels que Samsung et Hyundai, et une collaboration avec l’UNICEF – BTS est partout, et suscite des réactions positives aussi bien chez les fans que les non-fans.
Participant à l’augmentation du tourisme en Corée du Sud et au développement de l’apprentissage de la langue coréenne à l’étranger, BTS est un véritable vecteur de la culture coréenne à l’international – le groupe reçoit en 2018 l’Ordre du Mérite Culturel, remis par le ministre coréen de la culture, ainsi qu’un passeport diplomatique le 14 septembre dernier de la main du président Moon Jae-in. Les sept membres accompagneront aussi le président à New York le 20 septembre pour s’exprimer à l’Assemblée Générale des Nations Unies – et ce pour la troisième fois.
D’après un rapport récent de l’Institut de Recherche Hyundai, BTS rapporte près de 4 milliards d’euros à l’économie sud-coréenne par an. Leur impact à la fois économique et culturel est purement indéniable. Toutefois, l’exemption militaire reste un sujet sensible dans la société sud-coréenne. La loi de décembre dernier concernant le délai accordé faisait déjà débat, notamment auprès de la KMCA (Korea Music Content Association) qui décrivait l’amendement comme discriminatoire à cause des critères presque irréalisables pour être concerné, puisque seul BTS respecte lesdits critères.
Il est compréhensible que le sujet soit d’autant plus délicat quand on parle d’exemption totale, et la population sud-coréenne se retrouve très partagée sur la question : si certains pensent que l’impact positif de BTS sur l’économie de leur pays est un service suffisant, d’autres restent opposés ou tout simplement méfiants à l’idée d’accorder une exemption.
Quelle que soit la décision du gouvernement, la critique reste peut-être inévitable. Il se peut tout aussi bien que les membres de BTS choisissent de faire leurs services militaires dans tous les cas. Dans cette optique, plusieurs options sont possibles : si les membres s’engagent de manière individuelle, cela pourrait revenir à plusieurs années sans le groupe au complet mais permettrait de garder une certaine activité. Certains fans espèrent au contraire que le groupe ne soit pas séparé et s’engage à 7, néanmoins BTS serait en pause totale pendant une vingtaine de mois.
Malgré les opinions ou les espoirs de chacun, l’affaire reste bien évidemment interne à la Corée du Sud. Quoi qu’il en soit, les fans du groupe, les ARMY, sont nombreux à exprimer leur soutien quelle que soit la décision prise, en rappelant très justement que le nom de BTS a été utilisé alors que le groupe n’a jamais souhaité l’exemption.
« Nous irons faire notre service militaire quand ce sera le moment, alors j’espère que les **** qui ont fait profit en vendant notre nom vont tous se taire. »
Paroles de What Do You Think?, chanson solo de SUGA, rappeur du groupe, sous son alias Agust D.
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