Un titre coréen paru chez Verdier suscite d’emblée la curiosité, l’éditeur nous ayant habitué de longue date à publier des textes d’une grande exigence littéraire. Avec Cent ombres, Hwang Jungeun publie son deuxième roman, après Je vais ainsi paru chez Zoé. Ce roman raconte la relation entre deux employés d’un marché d’électronique en voie d’être démoli (on pense inévitablement au marché de Yongsan), quartier tristement célèbre pour avoir été le cadre d’un affrontement meurtrier entre les occupants d’un immeuble voué à la destruction sur ordre municipal et la police. L’affrontement fit six victimes, cinq locataires et un policier. Des épisodes de ce genre sont fréquents à Séoul, le cinéma et les dramas abordent régulièrement le sujet qui suscita cette fois-ci un mouvement de réflexion et d’action chez les littéraires. Hwang Jungeun en fit partie.
De cette rencontre entre Mujae et Eungyo nait ce qui pourrait bien être une histoire d’amour entre deux êtres non pas en perdition, mais en mouvement, deux êtres qui iraient vers leur futur par reptation, pas franchement convaincus de leur destin, près d’un marché en démolition, annonciatrice de nouvelles difficultés pour des locataires déjà en souffrance. De temps à autre, l’ombre des personnages se jouent de leurs propriétaires. Ces ombres polymorphes les harcèlent, les contraignent à se repositionner et à faire de leur aventure amoureuse une histoire incertaine dans un monde qui ne l’est pas moins. Monde de petits marchands d’électronique, habitués en passe d’être déracinés, toujours face à face avec les détenteurs du pouvoir. L’écriture tente de soutenir la narration, à laquelle on peine parfois à s’accrocher, en provoquant quelques accidents et surprises linguistiques, propres à la période et à cette génération d’auteurs dans la quarantaine… Le roman débute par un chapitre intitulé Forêt et se termine par un chapitre intitulé Île. Forêt, suite dialoguée donne le ton et le climat, mélange d’ennui, d’attente yeux grands ouverts, tandis qu’Île clôture le roman en paragraphes qui prennent le temps de l’exposition, avant de conclure « Et si nous étions des fantômes ? »
Cent ombres
Hwang Jungeun
Traduit du coréen par Guka Han et Samy Langeraert
Verdier, 2022, 17,5€