Les deux auteurs de L’épopée d’Yido, l’un Français l’autre Coréenne, sont cachés derrière le pseudonyme Moment Series, le nom de leur studio de design graphique, représentatif du courant Art toys. En effet, on reconnaît dans ce splendide album des références à l’univers du jeu et de l’enfance.
Le ton est donné dès la page de garde : « Un soir, à l’heure où la ville rêve… », une lune orangée veille dans l’obscurité, et l’histoire commence.
Yido se réveille brusquement, il a perdu quelque chose, ou plutôt il cherche quelqu’un : Léo devrait être à ses côtés mais il a choisi de partir tout seul à l’aventure. Yido commence à le chercher partout. C’est-à-dire dans le monde de sa chambre d’enfant, aux dimensions multiples, nées d’aventures imaginaires, et de jouets accumulés.
Le trait est stylisé pour figurer l’enfant dans son pyjama à carreaux, dont la coupe au bol et le petit nez rond l’associent instantanément aux figurines Playmobil. Il apparaît en gros plan dans le fond sombre de la page de gauche, où la nuit règne sur la chambre tranquille. Sur la page de droite, il est mis en scène dans les diverses hypothèses de sa quête, dans des tons plus évocateurs de sorbets sucrés que de nature sauvage, délicieusement acidulés, artificiels. C’est assurément le monde du rêve, où l’enfant encore à demi conscient, sait qu’il lui manque quelque chose, mais part à sa recherche en sommeillant. Les enfants reconnaîtront peut-être cet entre-deux de la conscience, où le corps est trop lourd et où l’esprit s’échappe, ou bien ils l’associeront à l’univers du jeu et de ses multiples mises en scène proposées dans les boîtes qu’ils reçoivent en cadeau à Noël ou pour leur anniversaire.
Ainsi Yido se laisse emporter en ballon dirigeable dans des mondes surprenants, fourmillant de détails à la fois reconnaissables et métamorphosés par la poésie des artistes. Inspirés par des motifs qui se prêtent à la répétition, feuillages, guirlandes, quadrillages, alignements, ils créent un langage symbolique qui devient celui du rêve ou de l’imaginaire. Les formes sont arrondies, quelques objets à angles droits, échelles, livres, bibliothèques sont intégrés à des ensembles aux contours fondus, où la courbe adoucit la vision globale. Pour les décors, magnifiques et baroques, les artistes imaginent de beaux aplats pour les ciels orangés de l’aube, et de gros nuages gonflés comme des barbes à papa. Yido s’éloigne peu à peu de l’espace clos de sa chambre pour explorer des univers qui s’affranchissent du réel : palais et pyramides flottant sur la mer, jungles enfermées dans des vaisseaux spatiaux, ville du futur émergeant des nuages…
D’aventure en aventure, l’épopée prend forme entre le jeu et le rêve, ou le rêve dans le jeu : cet album nous emporte nous aussi le temps de la lecture dans un espace préservé où l’imagination règne.
Alors que Yido plonge enfin dans le sommeil profond, veillé par les moutons-gardiens, un rai de lumière rose-doré laisse deviner un nouvel arrivant dans l’embrasure de la porte.
Un album magnifique, plein de surprises, pour un incroyable moment de lecture.
L’épopée d’Yido
Moment Series
Amaterra, 46 pages, 16,90€