Dans son bel écrin de la couleur de l’espoir, l’histoire de Mademoiselle Bang raconte la vie d’une héroïne du roman coréen de la même lignée que celles dont nous découvrons l’existence grâce au travail minutieux d’Hervé Péjaudier et Han Yumi dans les recueils Contes et Récits de Corée. Une jeune femme au destin extraordinaire qui a probablement quelque fondement réel, devenue par le biais d’une éducation particulière un jeune Yangban accompli, qui sera honoré pour sa bravoure au combat… Ainsi que je l’écrivais pour les Contes, ces destins féminins sont propices à des adaptations en bande dessinée qui popularisent des personnalités hors du commun et finalement révèlent des facettes moins connues de certaines cultures. Patrice de Jaquelot en a d’ailleurs chroniqué plusieurs qu’il s’agit désormais d’abonder de destins de Coréennes.
Lorsqu’elle naît, celle qui deviendra Mademoiselle Bang fait le bonheur de ses parents qui n’espéraient plus avoir un enfant ! Mais cependant, quand même, tout bien considéré, ils auraient préféré qu’elle fût un garçon !
Aussi décident-ils de l’élever selon les principes d’éducation des enfants de sexe masculin, en contradiction avec l’avis énoncé avec force de la gouvernante de la maison. Ainsi grandit une petite fille travestie, inconsciente de la faveur que lui font ses parents, et profitant de tous les aspects de l’éducation dispensée aux garçons dans une famille aisée de Corée au 19ème siècle.
Le nuage qui encadre le titre comme celui qui ouvre le récit, sur lequel se prélasse un dragon mythologique qui va nous « raconter une histoire » nous emportent : avec leurs circonvolutions roses ou bleues comme la magie des fées de Walt Disney, et leurs allures de barbe à papa de fête foraine, ils sont absolument symboliques des univers de Park, fantastiques rêves éveillés où le réel se pare d’interprétations d’un comique hilarant, où l’absurde carcan des conventions sociales est bousculé cul par-dessus tête comme dans les contes satiriques, et tous ces renversements carnavalesques dont Park Yoon-sun est l’héritière.
Sa palette acidulée illumine ses planches ; elle fait des merveilles, donnant à ses intrigues mouvementées beaucoup de piquant et de vivacité. Si le Club des Chats en est une illustration incontournable, on se souvient néanmoins que l’artiste avait déjà oeuvré à la reconnaissance en France du patrimoine légendaire de la Corée en publiant Les aventures de Hong Kiltong, ce fils naturel et méprisé d’un yangban, devenu roi d’un peuple humilié et déconsidéré qui grâce au souvenir mythique de son héros, va dans la réalité conserver estime de soi et foi en sa valeur propre…. Dans L’incroyable Mademoiselle Bang, on retrouve avec bonheur cette veine où l’action trépidante, les rebondissements multiples sont mis en scène dans un découpage époustouflant de dynamisme et d’efficacité. Aux côtés des traditionnelles cases dont la dimension, la forme et la disposition varient selon la situation décrite, Park Yoon-sun nous régale de splendides doubles pages, véritables tableaux à la manière des maîtres d’autrefois dans lesquels elle souligne cependant par un effet de loupe quelques détails comiques qui pimentent la scène ! Chaque chapitre se conclut par une vignette centrée qui laisse augurer de la suite des aventures de cette héroïne d’un drôle de genre.
Dans ce foisonnement caractéristique, Park imagine toute une galerie de personnages à la fois typiques dans leurs costumes d’époque, caricaturaux avec des expressions, des attitudes toujours pleines d’exagération comme dans un film burlesque ! Certains ici sont tout à fait originaux, des marginaux qui sont l’honneur de tout un peuple, comme ces artistes de cirque ambulant, qui nous rappellent le très célèbre film Le Roi et le Clown du réalisateur Lee Joon-ik. Auprès d’eux, Bing (le nom est probablement une trouvaille de Park Yoon-sun !), l’épouse délaissée de Bang, trouve refuge et se découvre une vocation, transgressant elle aussi l’inébranlable tradition confite en confucianisme réformé de la condition féminine de Joseon.
Enfin, le texte ne dépare pas l’ensemble puisque Park Yoon-sun maîtrise l’art des répliques percutantes, souvent drôles ; la langue est moderne, tonique, tout à fait accordée au style graphique de l’autrice.
Étudiant émérite, devenu notable à son tour, Bang s’illustre notamment à l’armée, se révélant un chef de guerre courageux et déterminé, un justicier excellant aux arts martiaux, maîtrisant « le souffle du lion », devenu général chéri du roi, et haï par des détracteurs jaloux comme dans un vrai drama coréen !
Et puis, l’histoire ne dit pas que Mademoiselle Bang malgré l’opposition inébranlable de sa gouvernante, retrouva son identité féminine, mais bien que son destin d’homme libre s’accomplit jusqu’au bout de sa vie.
Grâce au talent de Park Yoon-sun, voilà une nouvelle héroïne sauvée des gouffres de l’oubli auxquels ont souvent été condamnées les femmes. Et ce à sa manière loufoque et excentrique, mais ô combien travaillée, pour le plus grand plaisir des plus jeunes lecteurs comme des plus âgés !
En janvier 2024, L’incroyable Mademoiselle Bang a reçu le Fauve d’Angoulême prix jeunesse de la 51ème édition du festival d’Angoulême, un prix récompensant une œuvre destinée au jeune public.
L’incroyable Mademoiselle Bang
PARK Yoon-sun
Éditions Dupuis, coll. Les Ondines, 2023
128 pages, 19€