1597, deuxième tentative de colonisation Japonaise sur la péninsule coréenne. Aux commandes de Toyomi Hideyoshi, l’armée nipponne s’abat de nouveau sur la Corée traumatisée. Cette fois aucun survivant, tout le monde doit périr. Anciens, hommes, femmes, enfants, bébés, personne n’y échappe. Une violence sans nom se déverse sur le pays, décimant les habitations, les traditions, la culture et les habitants de Joseon. Le peuple coréen n’est plus que qu’une mauvaise herbe à arracher, un obstacle mineur sur un projet de conquête.
Aujourd’hui encore, la l’évocation de cette terrible décennie plonge la population coréenne dans un grand mal être et fait ressentir une envie de vengeance qui ne peut être assouvie. Bien que cette époque soit lointaine, les Coréens revivent inlassablement leur lutte pour la liberté contre l’oppression japonaise.
Dorénavant, une liaison entre un Coréen et un Japonais est très mal perçue. C’est devenu une honte pour la famille, un acte de trahison contre la patrie. Cette rancœur persiste et devient source de racisme. En outre, les sujets faisant référence aux Japonais et à leurs colonisations sont sensibles. C’est pourquoi, ce fut une grande surprise de découvrir la sortie du livre Le Cycle d’Imjin 1 – Notre pays (우리 나라) qui relate de manière romancée la guerre coréano-japonaise. Un ouvrage qui met en lumière les atrocités réalisées pendant cette période. Il débute avec une jeune femme du nom de Haneul qui est née d’une union entre Coréen et Kazakh. Elle vit en Corée du Sud mais subit un racisme de part sa grande taille et sa couleur de cheveux. La jeune femme est une grande passionnée des langues mais, bien que ses parents soit contre, sa préférée reste le japonais. En rentrant chez elle, elle n’a qu’une hâte : rejoindre ses amis nippons sur des jeux vidéo pour entraîner son oral.
Partant pour un weekend entre copains à Suncheon, la jeune femme est accompagnée de son ami Min Jae qui glisse et tombe d’une falaise. Elle essaie de le sauver mais finit par sombrer dans un tourbillon d’eau. Par chance, elle réussit à remonter à la surface mais se rend compte qu’elle est seule. Ses amis sont-ils partis appeler les pompiers et la police ? Haneul escalade de nouveau la falaise pour atteindre la route qui n’existe plus. Le parc protégé n’est plus qu’une vaste forêt : plus de chemin ni de panneaux ; la nature a repris ses droits. La jeune femme comprend que la situation est anormale, elle a le pressentiment qu’il se passe quelque chose de dangereux. Elle décide de se cacher le temps que les secours arrivent mais elle ne pensait pas qu’elle serait découverte par des personnes déguisées en armures qui la pointent d’un sabre. Elle ne le sait pas encore, mais elle se trouve devant des colonisateurs japonais dont l’un possède une réputation qui le précède. À partir de ce moment commence une lutte pour la survie dans un monde de brute. Haneul est assignée d’un nouveau nom, Nijiko, et pour vivre, elle doit obéir aux ordres et assister à l’extermination de ses ancêtres. En effet, la jeune femme a réalisé un saut dans le temps de 300 ans. Elle qui défendait les autres peuples, en majorité les Japonais, contre le racisme environnant, finit par découvrir l’horreur de la guerre et l’envie de s’enfuir loin des samouraïs. Et si elle finissait par haïr cette population qu’elle avait apprise à aimer et soutenir ?
Le Cycle d’Imjin est le nom japonais des guerres d’invasion nipponnes en Corée. Comme son nom l’indique, l’histoire se déroule en majorité dans le camp nippon. Alors que la protagoniste est Haneul, tout au long du roman, les lecteurs découvriront le point de vue de nombreux autres personnages plus ou moins éphémères. Il y en a pour tous les goûts : samouraï, guérisseurs, kisaeng, oiseaux (un pluvier), anciens, enfants, joueurs de samulnori et même esprits. Une multitude de points de vue, d’aspects, de vies différentes. Les lecteurs vivront pleinement l’histoire grâce à toutes les perspectives de cette époque jonglant entre le mortel et le spirituel.
Elle s’était toujours convaincue que les japonais étaient des monstres assoiffés de sang qui tranchaient les oreilles des civils coréens pour les amener en trophée sur leurs îles. Voir l’attention de ces guerriers qui veillaient sur elle à leur manière, écouter leurs convictions et leurs rêves d’un monde paisible et prospère, la déroutait.
Citation fin page 69 – Point de vue d’Haneul
C’est un véritable voyage au cœur du passé que nous fait vivre l’autrice Hélène Casado. Celle-ci se sert de faits réels et de personnages historiques pour ancrer son scénario au plus proche de l’original. En plus d’un cours détaillé historique et culturel, les lecteurs pourront se sentir coréens et japonais grâce aux très nombreux emprunts issus des deux langues. Les noms des personnages, qui sont pour la plupart authentiques, sont romanisés tels que “Iseul, Yasukage, Ukita Hideie, Choe Jae”. Les noms de lieux, de plats, de classes sociales, de métiers, d’objets et bien d’autres sont eux aussi transposés, pour le plus grand bonheur des adorateurs de l’Asie. Dans ce premier tome, l’autrice a sélectionné le maximum de termes coréens et japonais pour permettre au lectorat français de connaître des mots importants mais aussi pour leur faire vivre une plongée en profondeur au cœur du Royaume de Joseon.
Pour ceux qui ne seraient pas de grands connaisseurs de l’histoire de la Corée, du Japon et de ses colonisation, pas de panique ! Une partie de 42 pages à la fin du livre est dédiée à l’explication de ces termes que cela soit par des définitions, par des dessins/schémas ou par des biographies. C’est un choix étonnant qui ravira les adeptes de connaissances des cultures coréenne et japonaise.
Toutefois, bien que cela soit tiré de faits, d’actions et de personnes ayant bel et bien existés, il s’agit d’une fiction comportant des actes et des personnages fictifs. Cela est d’ailleurs confirmé dans la présentation des personnages à la fin du livre. Pour conseil, il serait préférable de lire en parallèle ou plutôt, à chaque arrivée de nouveaux protagonistes, cette aide. Elle permet de recentrer la ligne entre le fictif et le réel et de s’imprégner de la vie et des convictions de chacun des noms cités.
À Joseon, se parer des vêtements d’un autre sexe ou d’une autre caste était passible de la peine capitale. Il était donc invraisemblable qu’une femme se vêtit d’un hanbok masculin.
Citation page 244. Point de vue de Iseul, la Gisaeng
Ce roman peut être comparé au célèbre film d’animation Disney du nom de Mulan. En effet, Haneul se doit de cacher sa véritable identité. Sous la protection d’un Daimyo, elle se “déguise” en homme pour qu’il ne lui arrive aucun mal. Entre les pages, les lecteurs comprennent que c’est une question de vie et de mort. Nombreuses sont les femmes violentées, abusées, torturées pendant ce second assaut. Étant considérées comme inférieures à l’homme, elles ne sont plus que des objets éphémères servant à assouvir les désirs avant d’être tuées et mutilées. Dans cet ouvrage, nous vivons un machisme et une hiérarchie que nous trouvons aujourd’hui injustes. Les riches, les nobles se cachent derrière les plus faibles, les vendant à l’ennemi pour leur survie. Les esclaves eux, sont en plein dilemme : mourir par les Japonais à cause de leurs origines, mourir par leurs maîtres pour avoir tenté de fuir la guerre sans ordre de leur part.
Un personnage avec un rôle assez important a retenu mon attention. Bien qu’il ne soit pas connu dans le futur d’Haneul, nous pouvons le catégoriser de “héros de l’ombre”. Heo Yong, un médecin du Joseon, est forcé de travailler pour un seigneur de guerre japonais. En essayant de survivre, il tente de participer à la résistance. Il essaie avec sa faible position de détruire les Japonais de l’intérieur ; par exemple, en faisant exprès de ne pas sauver un guerrier et, d’au contraire, réaliser une acupuncture pour le tuer plus rapidement.
Très souvent nous oublions ces hommes et ces femmes qui tentent, en étant chez l’ennemi, de briser les fondations de l’intérieur. C’est une belle mise en avant que nous offre Hélène Casado.
La présence d’une femme kisaeng n’est aussi pas anodine car c’était un rôle important autrefois. Lorsque le point de vue est fixé sur elle, les lecteurs découvrent que sa vie n’est pas aussi rose que l’on pourrait le croire. Le manque de respect qu’elle subit, les viols, … Tout ça n’est que quelques aspects de ce que ces femmes enduraient à l’époque.
Avec ces différents personnages, l’autrice permet de mettre en lumière un aspect très important et ancré de la culture coréenne : le confucianisme. Bien qu’elle l’explicite peu, les coréanophiles les plus dévoués le retrouveront partout ; dans les manières de parler, la hiérarchie, certaines actions, … Il faut savoir qu’encore aujourd’hui cette idéologie régit les mœurs et les relations des coréens. C’est l’un des piliers obligatoires à connaître pour comprendre la Corée et ses habitants.
Tout au long de l’histoire nous sommes face à un choc de génération, un choc entre la tradition et la modernité. La protagoniste connaît des choses sur la guerre et sur la médecine grâce à sa vie dans le futur. Des choses qui ne sont pas encore connues dans le passé. Elle sauve la vie de plusieurs personnes à l’aide de médicaments et de gestes qui n’existent pas encore. À cause de cela, elle est même catégorisée d’anomalie par les puissances spirituelles, les jeoseung-saja (저승사자) qui régissent le chemin des morts. Ce qui est d’ailleurs intéressant dans cet ouvrage, c’est l’intégration de légendes coréennes et japonaises. Cela permet de connaître les croyances d’autrefois et le folklore asiatique tel qu’avec la légende de Haenim et Dalnim.
Le Cycle d’Imjin joue sur les sentiments du lecteur : peur, angoisse, tristesse, injustice. Il y a très peu, voir aucun bonheur. Seuls les guerriers japonais célèbrent leurs victoires. Les coréanophiles se rangeront du côté de Joseon et n’auront qu’une grande peine à lire ce livre.
Le gros point négatif dans cet écrit historique est la violence détaillée et parfois même gratuite. Il y a des personnages qui n’apparaissent que durant quelques pages pour mourir sous d’atroces faits tels que de la torture, des piétinements de chevaux, des coups de sabre et bien d’autres. Le fait de vouloir montrer l’horreur de cette période qui était plus que sanguinaire est une envie louable, mais dans cette situation, je trouve que cela est beaucoup trop. De plus, l’avertissement « réservé à un public adulte » n’est pas assez visible, seulement écrit petit en bleu clair au dos de l’ouvrage. Avec la page de couverture qui correspond plus à des romans pour adolescents ou jeunes adultes, des mineurs pourraient avoir l’envie et l’accès à ce livre alors qu’il n’est absolument pas de leur âge. Avant de lire le Cycle d’Imjin, il faut vraiment prendre en compte une violence détaillée qui part de la torture, des viols, à la dépouille de cadavres par les animaux.
À part cela, ce roman ravira les passionnés d’histoire et de cultures asiatiques. Ils découvriront la vie d’autrefois, les pensées et les croyances qui régissaient les empires. Ils pourront aussi participer à un choc des cultures et seront peut-être même étonnés de la façon dont étaient traités les personnes de classes inférieures et les Coréens autrefois. Ce livre est aussi une plongée dans la découverte et la connaissance grâce aux nombreux personnages réels, aux lieux historiques, aux détails des travaux de l’agriculture, …
C’est un très bon ouvrage pour comprendre comment s’est déroulée la colonisation japonaise et la violence qui à traversé la péninsule coréenne. Les détails sont époustouflants et permettent une véritable immersion dans le scénario. Avec Le Cycle d’Imjin vous prendrez part à la survie et la résistance du peuple coréen.
Le Cycle d’Imjin 1 – Notre pays 우리 나라
Hélène Casado
L’Atelier des Cahiers, 2023
296 pages, 17€
Merci pour cette belle revue détaillée du livre d’Hélène ! Pour information, Hélène a bien pris en compte les commentaires sur la violence de son premier tome et s’est efforcée de la rendre moins présente dans les deux tomes suivants.
L’éditeur
C’est nous qui vous remercions pour ces très beaux livres ! Nous venons de publier la chronique du tome 2, et nous avons effectivement constaté que la violence s’atténuait dans ce deuxième tome. Il est aussi riche et mouvementé que le premier mais s’écarte des terribles champs de bataille pour décrire les coulisses de la guerre et la vie des survivants. Une approche très réussie !