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Je suis une kisaeng

Le chercheur en littérature Jung Byung-sul explore en détail les différents aspects de la vie souvent cruelle des kisaeng, en parcourant les poèmes qu'elles écrivaient et qui leur étaient écrits.

Sijo et kasa
L’ouvrage définit le sijo comme « une forme poétique en trois vers de quatre segments » et le kasa comme des « vers de quatre segments de quatre syllabes ». Ces deux formes littéraires datant de la fin du royaume Goryeo (918-1392) étaient particulièrement utilisées par les kisaeng.

« Avec sa cape bleue et son chapeau rouge la kisaeng est en beauté. » (p.19)

Les kisaeng (기생), courtisanes chargées d’accompagner et de servir les hommes de haut rang, sont encore méconnues en France et souvent comparées aux geishas japonaises – qui tenaient un rôle similaire dans leur propre pays. L’ouvrage Je suis une kisaeng (나는 기생이다) du chercheur en littérature coréenne classique Jung Byung-sul explore en détail les différents aspects de la vie des kisaeng en parcourant les poèmes (sijo et kasa) qu’elles écrivaient ou qui leurs étaient écrits.

Rattachées aux provinces qu’elles habitaient, les kisaeng étaient au service de l’État et accomplissaient leurs devoirs d’artistes, de dames de compagnie et de prostituées selon le bon vouloir des ministres et yangban. La valeur des kisaeng tenant surtout à leur beauté, il leur était conseillé de trouver un homme de bonne condition qui accepterait de les prendre chez lui comme seconde femme ou concubine avant qu’elles ne vieillissent et ne perdent l’attention des hommes. Lorsqu’elles parvenaient à devenir concubines et à quitter la profession de kisaeng, ces femmes s’assuraient une sécurité financière mais subissaient aussi le mépris des autres femmes de la maison. Si elles ne réussissaient pas à se sortir de leur condition – ou si elles choisissaient de rester kisaeng – leur retraite s’accompagnait de précarité. Les kisaeng semblaient condamnée à un destin cruel dès leur plus jeune âge, lorsqu’elles rejoignaient le rang des tonggi (apprenties kisaeng).

« Faudra-t-il solliciter le Ciel devant cette situation injuste ? / Je me fais une raison, mais la colère monte en moi. » (p.82)

L’ouvrage de Jung Byung-sul s’attarde aussi sur les relations amoureuses que certaines kisaeng développaient avec leurs clients. Difficile pour elles de rester fidèles et de se promettre à des hommes dont elles ne pouvaient deviner à l’avance s’ils souhaitaient réellement les épouser ou non, les histoires d’amour des kisaeng donnèrent lieu à l’écriture de plusieurs lettres, sijo et kasa déchirants.

« Si j’étais sûre que je vous reverrais après ma mort, je mourrais avec le sourire. » (p.193)

Je suis une kisaeng offre une perspective unique sur la vie de ces femmes influentes dans l’histoire de la Corée. Ce livre, dont la lecture se montre parfois laborieuse à cause des nombreuses références historiques et culturelles parsemant les textes de kisaeng, mérite une attention particulière pour la fidélité avec laquelle il retrace les différents parcours que pouvaient avoir ces femmes, et le regard détaillé qu’il permet d’avoir sur leurs quotidiens, leurs craintes et leurs envies.


Je suis une kisaeng
Jung Byung-sul
Traduit du coréen par Jeong Eun-jin et Jacques Batilliot
L’Asiathèque, 2023
240 pages, 22,50€