Chroniques Romans Une société en métamorphose

La Serre du bout du monde

Première traduction française d’une œuvre de Kim Cho-yeop, La Serre du bout du monde s’inscrit dans un mouvement à la popularité croissante dans la littérature de science-fiction : l’écoféminisme.

Source
Pour aller plus loin dans l’écoféminisme : Émilie Hache, "Reclaim", Éditions Cambourakis, 2016
L'éthique du care
« Activité caractéristique de l’espèce humaine, qui recouvre tout ce que nous faisons dans le but de maintenir, de perpétuer et de réparer notre monde, afin que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nos personnes et notre environnement, tout ce que nous cherchons à relier en un réseau complexe en soutien à la vie. » Joan Tronto, "Un Monde vulnérable. Pour une politique du care", Éditions La Découverte, 2009

« Les gens vivant dans des Villes sous Dôme n’entendaient plus restaurer le monde. Personne ne croyait [au] futur. »

Kim Cho-yeop, p.328

Au milieu du xxie siècle, un nuage de nanoparticules dont les inventeurs ont perdu le contrôle s’abat sur le monde et rend l’air irrespirable. Cette nouvelle menace, appelée Poussière, détruit l’environnement et menace l’humanité d’extinction ; les survivants luttent pour se terrer dans des villes sous dômes où la violence règne. Naomi et Amara, deux sœurs éthiopiennes, font partie d’une minorité de la population ayant développé une immunité à la Poussière. Fuyant les centres de recherches qui souhaiteraient expérimenter sur leurs facultés, elles choisissent d’errer dans les ruines du monde, à la recherche d’un village légendaire caché dans les forêts malaisiennes, un sanctuaire qui serait protégé des effets de la Poussière.

Un demi-siècle après la Chute de la Poussière, alors que le monde est en voie de réédification, une biologiste entame des recherches sur une plante envahissante faisant des ravages dans les régions où elle pousse, la mosvana. Au cours de ses recherches, A-yeong découvre que cette mauvaise herbe pourrait avoir eu un lien avec la sauvegarde du monde.

Première traduction française d’une œuvre de Kim Cho-yeop, La Serre du bout du monde s’inscrit dans un mouvement à la popularité croissante dans la littérature de science-fiction : l’écoféminisme. Cette branche du féminisme met en parallèle la domination de la femme et celle de la nature, toutes deux provenant d’une même source ; les valeurs patriarcales d’oppression et de destruction de notre société moderne*. Les autrices (et les rares auteurs) écoféministes utilisent le récit de fiction pour réinventer le monde, le délestant de ces systèmes de domination pour redéfinir les rapports hommes/femmes et Hommes/nature.

« Le biais cognitif qui fait mettre de côté le monde végétal est une vieille habitude d’animaux que nous avons. Nous surestimons le règne animal et sous-estimons les plantes. »

Kim Cho-yeop, p.364

Sans pour autant évoquer directement les théories écoféministes, Kim Cho-yeop dépeint un monde violent et égoïste dont la seule échappatoire est un village utopique créé, contrôlé et habité uniquement par des femmes. Les personnages principaux du roman sont des femmes – les sœurs Naomi et Amara, la biologiste A-yeong, les créatrices du village Jisu et Rachel – ayant à cœur de prendre soin d’elles-mêmes, des autres et du monde qui les entoure ; rapprochant ainsi le roman de l’éthique du care (prendre soin). Parmi ces personnages, les deux biologistes Rachel et A-yeong s’évertuent à reconsidérer la nature, les dangers qu’elle représente et les solutions qu’elle pourrait offrir à la crise écologique de la Chute de la Poussière.

« Nous ne nous battons pas pour la nature, nous sommes la nature qui se défend. »

Émilie Hache, Reclaim, Éditions Cambourakis, 2016, p.55

La Serre du bout du monde est une note d’espoir dans le climat d’inquiétude sociale et écologique actuelle, et une introduction très accessible à l’écoféminisme dans la science-fiction.


La Serre du bout du monde
Kim Cho-yeop
Traduit du coréen par SON Mihae et Jean-Pierre ZUBIATE
Decrescenzo éditions, 2023
404 pages, 23€