« Un petit volume sous l’égide de l’air. Un voyage vers la lumière. »
Carnet d’un voyage qui n’a pas eu lieu est un livre qui s’ouvre comme une fenêtre. Derrière le volet de sa couverture, s’étend un vaste jardin de souvenirs. Pour y accéder il n’est pas besoin de clefs, de passeport ou de carte d’embarquement, mais d’un brin de malice et d’un peu de nostalgie.
À partir de son expérience de la Corée, de ses aventures de jeunesse et de son imagination, Jean-Claude de Crescenzo nous invite à contempler une série de vieilles photos en noir et blanc, empruntées à quelques talentueux photographes. Le paysage qu’il fait défiler sur les pages de son carnet présente des visages d’enfants souriants, allongés par terre au milieu d’une rue déserte, des femmes en fuite, cachées sous des parapluies, et des grands-mères baillant aux corneilles. Patiemment, il nous décrit leurs gestes et imagine ce que pouvaient être leurs pensées au moment de la photo.
À force d’humour, de tendresse et de perspicacité, l’auteur rend familier ces petits bouts d’ailleurs que sont souvent les vieilles photographies. Il renverse les frontières culturelles, géographiques ou temporelles qui nous séparent habituellement de ceux que l’on appelle des « étrangers ». En lisant, le lecteur est entrainé dans leur vie ; il marche en leur compagnie sur les chemins de terre de la Corée rurale, du Jeolla, ou dans les ruelles étroites de l’ancienne Séoul. Comme le sous-entend Jean-Claude de Crescenzo dans son avant-propos, il est alors étrangement gagné par la nostalgie d’une époque qu’il n’a pas connue. Par le biais de ce sentiment si particulier, commun à tous, notre auteur redonne vie aux fantômes du passé et les tire de l’oubli. Ses mots transportent jusqu’à nous le rire des enfants, les rumeurs des conversations de trottoir et autres bruits caractéristiques de la Corée de la fin du XXème siècle.
De cette manière, il nous invite à ralentir le rythme galopant de nos vies contemporaines et à contempler le spectacle discret de notre quotidien. En le lisant, on s’intéresse à ce qui a disparu et à ce qui sera ; on apprend à regarder sa vie comme une photographie et l’on se demande ce qu’il faudrait retenir de chaque instant.
Pour Jean-Claude de Crescenzo, la photographie « enclot ce qui menaçait de s’échapper et le métamorphose en objet de mémoire. ». Tandis que l’on reproche souvent à la nostalgie d’être passéiste ou conservatrice et d’empêcher le progrès, il fait d’elle un instrument de résistance. C’est le filtre par lequel il observe les photographies de Kim Ki-chan, de Cho Se-hui, de Ma Dong-uk, ou de ses proches. Sans chercher à les expliciter, il donne de la profondeur à leurs œuvres et nous rappelle subtilement qu’écriture et photographie ont toujours été liées ; qu’elles s’enrichissent mutuellement. La « photo[graphie] » est l’art d’« écrire avec la lumière ». Comme le souligne Lee Seung-U dans sa préface, Jean-Claude de Crescenzo est un lecteur de photos. En généreux interprète, il traduit pour nous les timides discours qui se cachent toujours derrière les images. Fort de ses expériences de vie, il dresse un pont entre la France et la Corée, le présent et le passé, et nous invente des souvenirs.
À la fin de votre lecture ce n’est donc pas un simple livre que vous rangerez sur votre étagère, mais un morceau de la Corée, un fragment du passé, glané par le regard d’un écrivain arpenteur.
Carnet d’un voyage qui n’a pas eu lieu
Jean-Claude de Crescenzo
Decrescenzo, 150 pages, 19€.
4 commentaires