Après un premier essai consacré à l’œuvre de Lee Seung-U, Jean-Claude de Crescenzo s’attaque à une plus large réflexion sur la littérature coréenne contemporaine dans son ensemble. Promenades dans la littérature coréenne est, comme son nom l’indique, une série de méditations sur les grandes thématiques de la littérature contemporaine autour de deux axes principaux : « Mon rival et moi » et « Le monde d’après ».
La première partie de l’ouvrage est construite autour de la figure de l’ennemi ; un ennemi historiquement Autre, aujourd’hui intériorisé sous de multiples formes. La pandémie Covid-19 en fait partie, au même titre que les autres « virus » de l’ère contemporaine : capitalisme, contrôle social, culte de l’apparence, solitude… Une situation que certains auteurs tels que Kim Ae-ran, Park Min-kyu et Pyun Hye-young semblaient avoir anticipée dans leurs écrits. C’est à se demander : « Étions-nous devenus aveugles au point d’avoir ignoré des signes avant-coureurs que les écrivains décèlent parfois les premiers ? » (p.11). Ces nouvelles préoccupations de la société de consommation inhibent nos relations à autrui, et peu à peu, l’humanité s’effondre : le suicide d’une jeune génération privée d’espoir chez Chang Kang-myoung, la déconstruction des relations maritales chez Eun Hee-kyung, les artifices du langage chez Han Yu-joo.
« Les personnages de la jeune littérature ne sont plus des héros ; ils sont universitaires désargentés, serveurs dans des stations-essence, vendeurs dans des supérettes ouvertes jour et nuit, ou pushmen dans le métro. Anti-héros, ils sont aliénés à un monde qu’ils ne comprennent plus, dénonçant et profitant alternativement du capitalisme. » (p.25)
À toute tragédie s’oppose un espoir de résolution. Si le monde contemporain dépeint par les œuvres citées arbore un air de dystopie, il demeure chez certains auteurs le désir de trouver remède à cette société fracturée.
La seconde partie de l’ouvrage est dédiée à une anticipation des valeurs nécessaires à un avenir meilleur, à une reconstruction des liens sociaux. Les difficultés de communication laissent place à une libération du poids du passé chez Lee Seung-U, une éloge de la générosité chez Hwang Sok-yong, une renaissance chez Yi In-seong. L’ouvrage se termine sur un texte consacré aux villes lentes de Corée, des espaces dissidents au sein de la société du « ppalli ppalli », si bien qu’il semble juste de rappeler : « La lenteur, perçue comme un défaut, est en réalité la juste concordance entre l’humain et la nature. » (p.151).
Cinq intermèdes viennent séparer les deux axes de réflexion. Ils constituent une pause au milieu du chaos, une collection de souvenirs et de visages hors du temps, une ode à l’intimité.
Au gré de promenades au sens propre comme au sens figuré, Jean-Claude de Crescenzo mène une réflexion construite, empreinte de sociologie et de philosophie. Mais loin l’envie d’effrayer les néophytes, l’ouvrage peut être lu comme une introduction plus que pertinente à la littérature contemporaine. Quoi qu’il en soit, un indispensable pour les amoureux de la littérature coréenne.
Promenades dans la littérature coréenne
Jean-Claude DE CRESCENZO
Decrescenzo, 184 pages, 14€
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