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Le Tigre et le pissenlit

Internationalement reconnue, Lee Gee-eun nous offre une relecture malicieuse et dynamique d’un récit plein de sagesse pour une première traduction en France bienvenue.

Histoires de tigres
Comme dans "Le bon fils et le tigre sans sourcils", Han Byeong-ho et Lee Mi-han, Mijade, 2007. Ou "Tigres à la queue leu leu", de Kwoon Moon-hee, Éditions Quiquandquoi, 2008.
Ton irrévérencieux
Qui n’est pas sans rappeler un autre conte adapté en littérature jeunesse : "Jalingobi et les pattes de mouche", Marcela Dvořáková et Rodolphe Meidinger, Atelier des cahiers, 2016.
©LEE Gee-eun / Cambourakis, 2024

Dans cette adaptation d’un conte traditionnel, Lee Gee-eun installe au préalable une narratrice appropriée : la petite halmoni할머니– en hanbok, occupée à cueillir des pissenlits pour agrémenter sans doute la cuisine quotidienne en profitant des ressources de la nature, est peut-être aussi une allusion à la compétence développée en Corée dans des périodes difficiles, à utiliser les herbes sauvages pour pallier les manques nutritionnels. Un lien avec Dame Nature, et tous ses résidents.

C’est aussi un ancrage dans le monde du récit traditionnel, « à l’époque où les tigres fumaient la pipe » , un appel à s’installer dans la posture attentive de l’auditeur. Le trait plein d’humour, très rond, lui aussi retient l’attention, en créant une atmosphère de bonhomie propre aux relations entre enfants et personnes âgées.

©LEE Gee-eun/Cambourakis, 2024

C’est l’histoire d’un tigre qui doit accueillir un pissenlit poussé comme une clochette au bout de sa queue : une situation burlesque illustrée par la représentation du félin de dos, son noble postérieur se balançant au gré de son pas majestueux, quelque peu désacralisé par cet appendice tressautant, à la coiffure hérissée et aux gros sourcils noirs, mobiles et expressifs.

Ainsi, très vite, l’humour s’installe dans cette série d’aventures pleines de malice où le Tigre, figure traditionnelle de la puissance dans la culture coréenne, est comme souvent dans les contes et dans les récits pour enfants contemporains, un puissant solitaire, craint et moqué à la fois, compromis dans des situations ridicules où sa grandeur est mise à mal par le danger, ou la peur incontrôlable. L’opposition puissant/misérable, ici de plus un parasite, est aussi un ressort du récit populaire.

Présentée en vignettes qui se répondent avec beaucoup de vivacité, l’interaction entre Tigre et Pissenlit, rebaptisé Fleur-de-queue, démarre sur le mode conflictuel. C’est l’accueil chaleureux de la communauté de la forêt envers le nouvel arrivant qui met rapidement le Tigre dans une situation nouvelle, un déséquilibre qui le contraint à adapter son propre comportement bon gré mal gré.

©LEE Gee-eun/Cambourakis, 2024

Peu à peu, le pissenlit endosse le rôle de conscience, à la manière d’un Jiminy Cricket, décomplexé et intrépide. Sa représentation, un petit pompon échevelé d’un jaune éclatant et, comme une marionnette, toujours en mouvement au bout de la queue préhensile du tigre, est très drôle et dynamique. Son ton irrévérencieux est à l’opposé de l’attitude pleine de soumission respectueuse attendue traditionnellement dans cette découverte mutuelle, mais typique de ces relations de fiction.

Mais le trublion se révèle plein d’intuition et de sagesse, ce qui n’est plus réservé aux personnes âgées.  Il guidera son hôte bougon vers plus de tolérance, d’ouverture aux autres, dont le tigre finira par rechercher la compagnie : les animaux et les oiseaux qui fuyaient le prédateur s’en rapprochent grâce à ce petit être protecteur (on pense aussi à Clochette dans Peter Pan), et se rassemblent autour de lui.  Au terme d’une année de vie commune, quatre saisons qui laissent à l’illustratrice le temps de figurer la belle nature colorée et variée des montagnes coréennes, dans des tons que l’aquarelle poétise par la transparence et la délicatesse, la réinterprétation du monde qui l’entoure, son nouveau cercle de compagnie et d’entraide, font que la représentation du tigre est renouvelée, avec un personnage plus apaisé, prêt à accueillir l’autre et à s’en laisser aimer.

©LEE Gee-eun / Cambourakis, 2024

Un beau conte sur la relation à autrui, la réciprocité, et l’humanité qui naît de ces rencontres, et une illustratrice pleine d’esprit : une belle découverte !


LEE Gee-eun
Le Tigre et le pissenlit
Traduit du coréen par LEE Hyeonhee
Éditions Cambourakis, 2024
80 pages, 18€