Grâce à son origine, cet album signé Gudol pour le texte et Haerang pour les illustrations, propose aux lecteurs une vision du monde différente et bienvenue de la représentation occidentalo-centrée. À visée documentaire, l’ouvrage se lit comme un album illustré, sans sommaire ni index, mais avec un découpage qui alterne différentes réalités représentatives de la notion de frontière, permettant de multiplier les angles de vue, et enrichissant progressivement la réflexion. Les exemples illustrés sont tous légendés des noms des pays concernés par une ou des frontières communes. Les textes explicatifs rédigés dans un langage généralement clair et neutre facilitent la lecture autonome des plus avertis.
La sobriété du ton nuance parfois la violence de certaines situations, et l’extrême soin apporté par Haerang à l’illustration rend celle-ci particulièrement explicite et vivante. La beauté vertigineuse de la première double page, où un grand oiseau plane au-dessus d’une plage frangée de vagues, ouvre la porte d’entrée du monde : grands plans larges et vision en plongée offrent des images fourmillant de détails nécessitant une observation minutieuse. Le même procédé agrandit encore les espaces sauvages : montagnes, mers, espace, où oiseaux, poissons sont libres « comme l’air », un air parfois très pollué qui lui non plus ne connaît pas les frontières…
Une opposition entre dimension spatiale et limitation territoriale qui initie les jeunes lecteurs-trices à des notions géopolitiques bien nécessaires pour comprendre le monde actuel, bouleversé par les conflits relatifs aux frontières, au désir des populations de vivre sur des terres qu’ils relient à leur identité. Certaines de ces identités peuvent être fracturées par des frontières artificielles, d’autres populations peuvent créer ou revendiquer leur propre frontière pour faire exister leur spécificité. Toutes ne sont pas citées mais le principe en est évoqué dans plusieurs exemples qui permettent à l’adulte qui accompagne l’enfant dans sa découverte de l’ouvrage, d’aller plus loin dans ses explications par exemple.
Les conflits se poursuivent parfois loin des frontières historiques sur des territoires revendiqués, riches en ressources par exemple. Pourtant les autrices ne manquent pas de faire une large part aux murs érigés en protection contre une immigration indésirable, simultanément stimulée par l’internationalisation des communications, les transports aériens, les aménagements industriels intercontinentaux… La notion de frontières ouvertes comme dans l’Union européenne, ou partagées avec des marchés, des monuments communs, voire aménagées par des ponts ou des routes, représente un espoir pour des pays artificiellement séparés comme Corée du sud et Corée du nord le sont par une courbe qui suit régulièrement le 38è parallèle, résultat des aléas de l’Histoire.
Qu’est-ce qu’une frontière ? est donc un bel ouvrage riche et accessible y compris pour les plus jeunes si la lecture est accompagnée. Il facilite la discussion et les échanges sur ces sujets complexes et pourtant omniprésents, qui concernent également les enfants, et dont ils ne devraient pas être écartés. C’est l’objectif de cet album, éduquer les plus jeunes afin qu’ils deviennent des citoyens avertis : à partager au-delà de toutes les frontières possibles.
Qu’est-ce qu’une frontière ?
Gudol et Haerang
Traduit par Lee Sungyup
Éditions La Partie, mars 2024, 18€.
Recommandé à partir de 6 ans.