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La Forêt des disparues

À travers l’enquête de Hwani, à la recherche de son père, inspecteur de police porté disparu, et de treize jeunes femmes disparues elles aussi, June Hur dresse un portrait intéressant de la dynastie Joseon du XVe siècle.

Joseon
Joseon est le nom d'une période historique de la Corée ayant durée de 1392 à 1910.

Avec l’arrivée du beau temps, il est tentant de vouloir se plonger dans des histoires douces et paisibles en attendant les prochaines vacances. Peut-être est-ce le moment qu’on choisit certains pour visionner le récent drama Retour à Samdal-ri : des paysages magnifiques, des habitants soudés, la tranquillité… L’île de Jeju semble être l’endroit où il fait bon vivre et la destination touristique idéale. Mais, quand June Hur décide d’ancrer son histoire dans un Jeju du XVe siècle, nous n’avons pas d’autre choix que de nous défaire de cette image paradisiaque. 

Et pour cause ! L’île est frappée par une tragédie : treize jeunes filles ont mystérieusement disparu et l’inspecteur chargé de l’affaire s’est volatilisé à son tour. Pour sa fille Hwani, bien que laissée sans nouvelles pendant un an, impossible d’envisager le pire : celui que l’on surnomme « le plus grand enquêteur du Joseon » ne peut pas être mort. Travestie en garçon, à l’insu de sa tante et munie du journal de son père, elle décide elle aussi de se rendre à Jeju, son île natale. Elle entreprend alors de résoudre l’enquête sur laquelle travaillait son père avant de disparaître. Pour ce faire, elle s’allie à sa sœur, Maewol, qu’elle n’a pas revue depuis l’incident de la forêt… Entre l’aînée, bien déterminée à retrouver son père vivant, et la cadette, chamane assistante au caractère bien trempée, une collaboration tumultueuse s’annonce…

Loin des intrigues de la cour avec ses jeux de pouvoir et ses romances, thèmes privilégiés des récits historiques, l’auteure préfère prendre le point de vue d’une jeune femme pour explorer Joseon. Pragmatique et protocolaire, Hwani n’hésite pas à partager ses opinions sur la société à laquelle elle est confrontée avec le lecteur. Pour elle, le chamanisme, religion encore très importante à l’époque, n’est qu’un moyen d’extorquer de l’argent aux populations les plus pauvres. Aussi, n’est-il pas surprenant que sa suspecte principale soit la chamane Nokiung, celle qui a pourtant élevé sa sœur. 

Comme les veulent les mœurs, Hwani respecte ses aînés et s’appuient sur eux mais, quand elle se rend compte que la corruption règne chez les hauts placés (problème récurrent dans les gouvernements coréens actuels), c’est la désillusion, d’autant plus que son éducation lui a donné une image très claire de la justice.

« Dans ce monde, les méritants sont accablés de mille maux et la route des justes est semée d’embûches, tandis que la voie des vauriens est nette et dégagée. On aura beau lutter pour éradiquer le mal, rien ne changera. Rien. Plus tôt tu sauras l’accepter, plus tu te simplifieras la vie. » (p. 238)

Pour retrouver les personnes disparues, Hwani essaye de renouer avec sa sœur Maewol. Séparées par les décisions de leur père, le temps et la distance, les deux femmes ne sont plus du tout sur la même longueur d’onde. Maewol vit dans la rancœur d’avoir été délaissée par sa famille et vient briser l’image idéale que Hwani se fait de la figure paternelle. Pour cette dernière, c’est le drame : comment affronter la vérité quand sa sœur émet la possibilité que leur père ne soit pas un homme parfait ? Comment se construire en tant que personne à part entière ? Son père était son pilier alors comment se préparer à l’éventualité de ne pas le retrouver (vivant) ? L’île de Jeju se présente alors à la jeune femme en pleine quête identitaire comme un lieu d’émancipation.

Bien que les premiers chapitres soient assez lents, le rythme s’accélère et les enjeux se dévoilent par la suite. Il devient alors impossible de stopper la lecture de ce polar historique. Les deux sœurs ont une dynamique palpitante et de fortes personnalités, les rendant vraiment attachantes. Beaucoup d’aspects de Joseon sont critiqués (dont certains non-mentionnés pour ne rien révéler de l’intrigue policière du roman) et June Hur fait un travail énorme de devoir de mémoire, en écrivant sur un pan oublié de l’histoire de la Corée. Après votre lecture, prenez le temps de lire la note historique de l’auteure à la fin du roman ! 


La forêt des disparues
June Hur
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marion Roman
Bayard, 2022
432 pages, 17,90€

A propos

Titulaire d'une licence LLCER Trilangue Anglais-Coréen à l'Université Aix-Marseille, je suis actuellement en année de césure avant mon Master. Passionnée par la littérature et le cinéma, les productions coréennes me permettent d'aimer et de comprendre chaque jour un peu plus ce pays.

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