Cinéma/Drama Essais Romance

K-DRAMAS, Et la Corée inventa l’homme fatal

Dans ce texte saisissant de vérité et non dénué d'idéalisation, Marie Joncquez approche le sujet des k-dramas par le regard porté sur les hommes coréens dans leurs gestes amoureux et romantiques.

La première question que pourrait se poser le lecteur de cet excellent ouvrage est la suivante : faut-il être un(e) fan de drama pour rédiger un essai sur le sujet ? En effet, ce qui frappe immédiatement à la lecture, c’est le parti-pris nettement affirmé de l’auteure, en tant que fan de drama et tout particulièrement en exégète du rapport homme/femme dans les dramas coréens. Marie Joncquez ne dissimule pas son intention dès le sous-titre : Et la Corée créa l’homme fatal (inexorablement fatal envers les femmes). Dans ce texte saisissant de vérité et non dénué d’idéalisation, c’est le regard porté sur les hommes coréens notamment dans leurs gestes amoureux, romantiques, par lequel l’auteure approche le sujet. Marie Joncquez avoue ne s’être jamais reconnue dans les rôles féminins dans le cinéma français et à plus forte raison dans les feuilletons et autres séries. Un ou deux voyages en Corée suffiront pour que se forge une intuition que les dramas confirmeront. L’homme fatal (et donc idéal) se trouve en Corée. Ce que confirme une tendance, certes encore très minoritaire, de femmes entreprenant le voyage pour se marier avec un homme coréen.  C’est donc à partir de ce point de vue, qui devient au fil de la plume un filtre, que Marie Joncquez va analyser minutieusement une bonne trentaine de dramas couvrant la période 2014-2023 , tel que l’indique le sommaire, même si en réalité le nombre de dramas cités dans l’ouvrage est largement plus important. On devine aisément la somme de travail qu’a demandé cet ouvrage. Ce matériau de travail interroge inévitablement l’historiographie quant au poids respectif des dramas suivant les années. Majoritairement ils concernent surtout les années 2014-2019. La Corée étant championne des mutations rapides, on peut supposer que les bouleversements observés dans les années 2020 ne sont que faiblement prises en compte. Notamment avec les mouvements masculins, consécutifs à l’élection du Président Yoon, reprochant aux femmes de disposer de trop de pouvoir dans la vie sociale. Mais la perspective de l’auteure n’étant pas de nature historique, il ne peut lui être fait reproche.

S’en suit l’analyse drama par drama de la production coréenne, notamment sous l’angle des rapports amoureux, familiaux, mais toujours dans la perspective originelle, celle d’une invention de l’homme fatal. L’analyse s’avance à visage découvert. On pourra toujours regretter l’absence de perspective sociologique ou politique. Il faut donc lire cet excellent ouvrage suivant l’intention de l’auteure et découvrir comment les dramas, majoritairement écrits par des femmes et majoritairement tournés par des hommes, présentent le rapport homme-femme, sous un angle le plus souvent idéalisé. et pour ne rien cacher, ce livre fournit quantité de renseignements, titres et autres intérêts qui feront précipiter le lecteur sur ses sites de visionnage préférés.

L’ouvrage présente aussi un certain nombre de traits communs aux dramas, des scènes récurrentes par exemple, dans lesquels l’homme et la femme sont présentés en tant que personnages effectuant des tâches souvent domestiques, marquant ainsi une certaine vision des rapports homme/femme : « L’homme faisant la vaisselle, La femme regardant l’homme dormir, Le câlin de dos, Offrir un bijou », etc., ainsi que des situations caractéristiques où sont présents des traits comme l’humour, les sentiments, la découverte du métier, etc., présents dans les dramas. Ces scènes destinées à forger des représentations relèvent du roman national d’une Corée soucieuse d’apparaître sous ses meilleurs traits. N’oublions pas que le drama, pur produit du soft-power coréen, offre une formidable combinaison d’esthétique, de marketing, d’économie, de postures philosophiques, sociologiques, politiques…

L’auteure cède de temps en temps à la tentation comparatiste avec la culture française, comparant terme à terme des vécus, des traits caractéristiques individuels voire groupaux, délaissant une anamnèse des situations, des historiques, voire des vécus sociaux. Le statut de la femme et sa façon d’être femme en Corée suscitent l’admiration de l’auteure, les dramas se focalisent sur quelques traits distinctifs, quand bien même ils ne s’expriment que rarement ou partiellement dans la vraie vie. Mais la volonté de l’auteure de soutenir une vision de la femme non castratrice, tout en assumant sa féminité et sa manière de faire qui la distingue des hommes devient au fil du texte une conviction que l’on ne peut que partager pour un féminisme co-construit.

Le lecteur ne sera pas déçu de ce livre notamment, s’il est fan de dramas romantiques, mettant en scène des couples en recherche d’un équilibre nouveau, rompant avec le patriarcat ancien, dans une Corée qui marche sans complexe vers le libéralisme le plus dur (nous ne cachons pas la nécessité de penser l’influence du système politique et économique sur les relations sociales, y compris les relations amoureuses).


K-Dramas, Et la Corée inventa l’homme fatal
Marie Joncquez
L’Harmattan, 2024
240 pages, 25€

2 commentaires

  1. CAUSSE dit :

    Merci pour ce beau commentaire. Je retiens une chose, et c’est pour moi ma conclusion : j’ai compris pourquoi je suis fan des Kdrama, je me suis complètement retrouvée voire découverte dans ce livre, et j’ai surtout compris pourquoi je n’ai jamais ni lu, ni regardé « 50 nuances de Greys », et pourquoi je déteste le mouvement féministe. Merci Madame JONCQUEZ.