Memoria Romans

Un éclair bleu azur

Avec ce récit qui se concentre sur la réminiscence, comme si l'avenir était trop effrayant pour être imaginé, Kwon Yeo-sun ose une œuvre sérieuse qui s’écarte des voies ordinaires.

Après Lemon, précédent roman, ou plutôt avant Lemon, Kwon Yeo-sun publie ce roman de jeunesse en 1996 puis en version révisée dont la présente publication s’inspire. Dans ce roman de facture classique les souvenirs s’invitent : légende autour de la naissance de la narratrice, amitiés, amour ancien, petites rapines, etc. Le tout sur fond de soulèvement des années 1980 dans une Corée qui tarde à obtenir la démocratie. Les livres de souvenirs fleurissent, souvenirs que l’on veut garder, souvenirs que l’on veut effacer, les narrations souvent à la première personne se concentrent sur la réminiscence, comme si l’avenir était effrayant au point de ne pouvoir être imaginé. On le comprend, l’actualité est là pour nous rappeler ce qui nous attend. Un éclair bleu azur (belle traduction du titre original) contient tous ce qui fait l’essence du monde littéraire de l’auteure, et ses évocations de souvenirs rarement heureux, des trahisons, des déceptions, des plaies qui se referment mal ou qui ne se referment jamais : « Quand mon mari est revenu à la maison pour ses congés, il a dilapidé notre argent avant de repartir » (p. 102), dit la mère de la narratrice. Ou encore : « Mon amour s’est terminé comme l’azalée qui tombe » (p. 167)

Kwon Yeo-sun pose avec une certaine délicatesse un regard tout personnel sur fond d’histoire collective. Et une fois encore, c’est l’amour qui est appelé au secours : « C’est l’amour qui m’a finalement permis de passer une nouvelle fois de l’enfance à l’âge adulte. Après des activités agricoles estivales, l’amour a percé ce mur épais et m’a ouvert les yeux sur la féminité, comme une force motrice incroyablement puissante ». (p.142).

Dans la lignée récente du prix Nobel attribué à Han Kang, nous pouvons nous réjouir du déferlement des « voix majeures » de la littérature, même si lesdites « voix majeures » se concentrent autour des feel good books, de l’auto-fiction ou des romans de genre, et que d’autres « voies majeures » ne sont pas encore traduites car trop éloignées des canons de la littérature contemporaine, c’est-à-dire pas assez commerciales. Fort heureusement, ce n’est pas le cas de Kwon Yeo-sun qui ose une œuvre sérieuse qui s’écarte des voies ordinaires.

Née à Andong, Gyeongbuk en 1965 et diplômée du Département de langue et littérature coréennes de l’Université nationale de Séoul, Kwon Yeo-sun a obtenu un doctorat en littérature coréenne à l’École supérieure de l’Université Inha. Elle a fait ses débuts littéraires en 1996 en remportant le 2e Prix littéraire Sangsang. Elle est aussitôt repérée pour son travail unique qui ne fait pas l’impasse sur les blessures et les fissures de la vie, une littérature qui ne concède ni à la mode ni aux émotions faciles.


Un éclair bleu azur
Kwon Yeo-sun
Traduit par Kevin Jasmin-Hamard
La Croisée, 2024
240 pages, 20€

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.