« Garde tes larmes pour quand ta mère sera morte »
Il serait dommage de s’arrêter au titre ernalien de ce roman, de passer son chemin devant la prescription « Un des livres préférés de Barack Obama », dans un réflexe de méfiance mêlée de snobisme. Car Pleurer au supermarché, ainsi qu’en conclut la quatrième de couverture, est un roman sans pareil, où Michelle Zauner livre un récit profond et émouvant qui explore les liens complexes et parfois douloureux entre une mère et sa fille. L’auteure, d’origine coréenne, mêle habilement son expérience personnelle de deuil à une réflexion sur la cuisine comme moyen de guérison et de réconciliation. Le récit est construit autour de la perte tragique de sa mère, Chongmi, atteinte d’un cancer, de l’évolution de leur relation marquée par les tumultes de l’adolescence et de tendres moments partagés autour des repas.
Le roman met en lumière l’importance de l’héritage par le prisme de la cuisine, élément fondamental dans la quête de Michelle pour ses racines et, paradoxalement, pour son identité parfois conflictuelle entre les cultures américaines et coréennes. L’auteure retrace son parcours, entre une jeunesse rebelle et une forme de refuge trouvé offert par la musique, jusqu’à un retour nécessaire aux côtés de sa mère malade. En apprenant à cuisiner les recettes de celle-ci, Michelle trouve un chemin vers la paix intérieure.
L’usage de la gastronomie coréenne comme vecteur de mémoire et de transmission est particulièrement marquant. Les recettes, les traditions culinaires, et les gestes hérités de sa mère deviennent des moyens de renouer avec l’amour et le deuil, mais aussi avec soi-même. La figure de Maangchi, une Youtubeuse culinaire, devient ainsi une sorte de mère de substitution, aidant Michelle à traverser cette épreuve et à se reconnecter à son héritage.
L’écriture de Michelle Zauner est sincère, parfois crue, et touche par une vulnérabilité sans détours. Elle parvient à capturer l’essence même de la douleur du deuil, ponctuée d’instants de douceur. C’est un roman où les émotions brutes se mêlent à une réflexion sur l’identité et la culture, deux piliers fondamentaux pour surmonter les moments les plus sombres de la vie.
En dépit de quelques longueurs, Pleurer au supermarché est un hommage bouleversant à la mère, à l’amour filial et à la résilience, porté par la richesse sensorielle qu’offre la nourriture. C’est un roman qui parle au cœur, tout en rendant hommage aux mères monumentales qui nous nourrissent bien plus que de leur cuisine.
Pleurer au supermarché
Michelle Zauner
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Laura Bourgeois
Christian Bourgois éditeur, 2024
320 pages, 22€