©Lee Dong-eun/Jeong Yi-yong/ Çà et Là, 2024.
Manhwa & Webcomics Une société en métamorphose Vient de paraître

Hana

Lee Dong-eun et Jeong Yi-yong commencent à être connus des lecteurs de Keulmadang en particulier grâce aux éditions Çà et Là qui publient cette œuvre difficile et complexe, à l’image d’une société coréenne en quête de son émancipation.

Hana est la nouvelle représentante de cette société moderne issue d’une culture ancestrale aujourd’hui sur la sellette dans la vie quotidienne, comme dans ses traductions littéraires ou artistiques. Dans une mise en images pleine d’obscurité avec, en effet, beaucoup de scènes nocturnes, percée d’onomatopées claquantes, grinçantes, sourdes, violentes, une jeune femme isolée est abandonnée à l’autoritarisme d’un époux qui la bat et l’humilie sans cesse. Une nuit, Hana se retourne contre son bourreau et l’abat, face contre terre. La société la condamne, et la vie se charge d’exécuter la sentence.

La vie, car dans ce drame-là, beaucoup d’éléments s’agrègent qui témoignent d’une fracturation sociétale qui n’est pas propre à la Corée, mais dont la création coréenne contemporaine s’empare pour la sortir de l’ombre. Au-delà de ce drame humain et de la dénonciation des violences faites aux femmes, ou du laxisme d’une justice qui se voile la face, Lee Dong-eun et Jeong Yi-yong abordent une nouvelle fois les dysfonctionnements et les tabous qui tissent la toile complexe d’une société en lutte avec ses démons.

©Lee Dong-eun et Jeong Yi-yong/ Ed. Çà et Là, 2024

Avec un cadrage serré qui décompose l’action et insiste sur le langage corporel et les expressions, Jeong Yi-yong expose les ramifications du scénario. Un jeune prof de maths nommé dans une ville nouvelle et séparé de sa fiancée. Une fiancée qui refuse de quitter Séoul. Qui tient un discours égoïste et cruel. Une enfant gâtée qui attend de son futur époux qu’il consente à remettre son avenir entre les mains de son beau-père. Une belle-mère qui n’est pas dupe et le fait savoir. Un couple qui se forme en résistance aux pressions. Un homme qui cède à l’impulsion du désir sans réfléchir aux conséquences. Des élèves adolescents qui se cherchent, se battent, et cèdent à la mode de la dénonciation en ligne. Piégé à son tour, le professeur se retourne violemment contre un faux coupable le poussant à un désespoir suicidaire. 

Pourquoi donc Hana était-elle surnommée « la folle » dans son adolescence ? La folie, n’est-ce pas ce qui entraîne (chaque protagoniste de) cette sombre histoire dans le tourbillon d’une réaction sans fin ? Le bain de couleurs, pourpre, violine, camaïeux de gris, noir, bruns, utilisé par Jeong Yi-yong, ne sert-il pas cet imaginaire de la décomposition, du pourrissement ?

© Lee Dong-eun et Jeong Yi-yong / Ed. Çà et Là, 2024.

Dans cette œuvre énigmatique qui pose plus de questions qu’elle n’offre de réponses, le choix final est une porte ouverte à l’imagination du lecteur : pour dénoncer les travers d’une société psychotique, scénariste et graphiste utilisent les ressorts d’une mécanique cinématographique ensorcelante et hypnotique. Le duo d’auteurs s’entend pour créer et associer les éléments narratifs et l’atmosphère propres à susciter l’inquiétude, l’incompréhension, l’angoisse, un ascenseur émotionnel qui évoque les meilleurs thrillers.


Hana
Lee Dong-eun et Jeong Yi-yong
Éditions Çà et Là, 2024
392 pages, 26€