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Jin & Jin

Dans "Jin & Jin", la vie et les difficultés rencontrées par les deux protagonistes nous interrogent sur la place ainsi que le rôle des femmes dans la société coréenne.

Manifestations
Les années 2016-2017 furent marquées par un scandale politique d’une grande ampleur : des révélations sur la corruption de Park Geun-hye, présidente de l'époque, ainsi que sur la propre corruption et influence dans les politiques du pays de sa confidente Choi Soon-sil poussèrent les Sud-coréens à descendre dans les rues pour manifester. C’est dans ce contexte que s’inscrivent les manifestations pacifiques à l’Université pour femmes d’Ewha. Initialement protestant contre une série de réformes faites par l’établissement, les étudiantes apprirent que Chung Yoo-ra, fille de Choi Soon-sil, avait été acceptée dans cette université grâce aux connexions de sa mère avec la présidente du pays.

Jin & Jin, nouveau roman graphique du duo Lee Dong-eun (scénario) et Jeong Yi-yong (dessins), dresse le portrait de deux femmes coréennes qui partagent une même syllabe de leurs prénoms.

La première « Jin », Jin-a, une jeune femme chargée de sa sœur suite au décès récent de leur père, cumule deux emplois pour subvenir à leurs besoins. Dans la résidence pour femmes où elle habite, Jin-a se lie d’amitié avec sa voisine écrivaine et se prend d’affection pour une veille dame réservée. En parallèle, elle bataille avec l’administration pour que sa sœur puisse bénéficier du statut d’orpheline. La deuxième « Jin » c’est Su-jin, une quadragénaire veuve vivant avec son fils. Se pensant ménopausée, elle se rend à un rendez-vous gynécologique durant lequel on lui annonce sa grossesse. Alors qu’elle va devoir partager cette nouvelle à son amant, un client du restaurant karaoké où elle travaille avec sa sœur, son fils lui révèle son intention de se marier prochainement et cela ne ravit pas Su-jin…  Chaque chapitre se concentre sur l’une des deux femmes qui ne se rencontreront que fortuitement.

Le texte est complété par des graphismes réalistes, centrés sur les personnages et surtout leurs visages : l’accent est mis sur les individus et leurs émotions, délaissant les paysages et les lieux qui sont secondaires à la trame de l’histoire. Par ailleurs, des séquences entières se reposent sur le dessin uniquement, sans ajout de texte, laissant au silence une place importante pendant laquelle on sent les personnages se questionner, s’angoisser, réfléchir, grandir… 

Le contraste entre la couverture très colorée et les graphismes plus sombres peut surprendre le lecteur. En effet, les chapitres sur Jin-a sont teintés de nuances d’orangé alors que ceux sur Su-jin sont plutôt verdâtre. Le choix des couleurs n’est peut-être pas si anodin : l’orange et le vert sont des couleurs secondaires, obtenues en mélangeant des couleurs primaires. Ces couleurs sont la parfaite représentation de ces deux femmes qui n’existent pas à elles seules, mais via leurs devoirs et les relations avec les membres de leur famille.

Effectivement, Su-jin et Jin-a ne semblent vivre ni par, ni pour elles-mêmes : elles sont avant tout grande sœur, collègue, amie, amante ou mère… et cela amène à une réflexion sur la place des femmes dans la société coréenne. Par exemple, la première scène se déroule dans un fourgon de nettoyage où on retrouve Jin-a et son collègue en train d’écouter le morceau « Into the New World » du groupe de K-pop Girls’ Generation. La symbolique de cette chanson est très importante : sortie en 2007, elle a récemment trouvé un nouveau souffle grâce à son utilisation lors de manifestations (notamment la manifestation d’étudiantes de l’Université pour femmes Ewha). Les paroles prônent la solidarité mais aussi la persévérance malgré les difficultés. Et ces dernières sont bien nombreuses dans la vie de nos deux protagonistes : manque d’argent, insomnie, batailles administratives, grossesse à un âge avancé, décès, suicide… Il semble facile pour nos personnages de se perdre dans cette multitude de responsabilités. Le roman questionne aussi le regard que peuvent porter les coréens sur les relations amoureuses passé un certain âge ou sur le mariage entre un homme et une femme plus âgée.

Mais Jin & Jin est aussi une découverte de soi, notamment à travers Su-jin. Dans une société où il est facile de travailler sans compter ses heures (comme Jin-a), Su-jin essaye de trouver ce qu’elle aime et la manière dont elle veut continuer à vivre, sans se préoccuper de son âge. 

« La vie, ça ne serait rien d’autre que de préparer l’avenir? C’est tout… ? J’ignore quel est le sens de la vie… Je n’en suis qu’à la moitié. Comment occuper le temps qu’il me reste… ? » (p.159)

On assiste presque à la renaissance de Su-jin : son rôle de mère n’est pas tout à fait achevé mais elle peut à présent progresser en tant que personne à part entière.

Ce roman graphique est presque trop court pour développer tous les thèmes qui sont abordés et on aurait aimé passer encore plus de temps avec Su-jin et Jin-a qui, au final, partagent bien plus qu’une même syllabe de leurs prénoms : Jin-a, se sacrifiant pour sa petite sœur tout en se perdant presque dans ce processus, reflète la jeunesse passée de Su-jin et ses propres sacrifices. 


Jin & Jin
LEE Dong-eun & JEONG Yi-yong 
Traduit du coréen par LEE Young-joo et Loïc GENDRY
Çà et Là, 212 pages, 17€

1 commentaire

  1. JUNG dit :

    Nous avons aimé lire ce résumé qui nous donne envie de parcourir le livre
    Cathie Jean-Paul