Tout en créant un univers cohérent autour de l’e-sport, Eva Kim narre une jolie romance clichée entre une première de la classe et une star anonyme du jeu vidéo.
Chiffres du ministère de l’Intérieur, rapportés par KBS World French.
League of Legends
League of Legends est un jeu vidéo de type MOBA (arène de bataille en ligne), créé et édité par RIOT Games. Avec cinq championnats du monde, T1 est l'équipe la plus récompensée de l'histoire du jeu.
Faker
De son vrai nom Lee Sang-hyeok, Faker est considéré comme le meilleur joueur de l'histoire de sa discipline.
Lee Hae-rin est une élève assidue et une fille modèle. Chaque instant de sa vie est une case à cocher dans son interminable liste de choses à faire. Mais sa réussite n’est pas vraiment sienne – peut-être essaie-t-elle simplement de combler le vide existentiel qui la menace si elle ne renvoie pas l’image parfaite qui est attendue d’elle. Loin est son enfance insouciante, aujourd’hui les non-dits rythment sa relation avec sa mère. Impossible de lui avouer qu’elle a déserté les cours privés pour se réfugier au cybercafé de son oncle. Impensable de lui partager qu’elle dessine des webtoons de romance. Enfin là aussi, l’exercice est difficile – l’inspiration s’étiole et ses projets peinent à voir le jour.
Shin Young-jae est son exact opposé – sa réputation d’étudiant taciturne et absentéiste lui a valu le surnom de « Gwi Shin », le fantôme. Un sobriquet ironique quand on sait qu’il est également Ghost, un joueur e-sport professionnel. Mais Young-jae tient à son anonymat et garde secrète cette part de lui en portant un masque. Alors, quand il oublie son sac au cybercafé, Hae-rin est loin d’imaginer que les cases rigoureusement tracées dans lesquelles elle s’est enfermée vont s’effondrer les unes après les autres.
C’est ça, ton problème, ma chère Hae-rin. Tu cherches encore à rationnaliser les choses, alors qu’il n’existe pas sujet plus absurde que celui auquel tu t’attaques. L’amour n’obéit qu’à ses propres règles, et cocher les cases qui te semblent pertinentes ne t’aidera pas à lui faire honneur. (p.15)
Alors que la tendance est aux romances de K-pop, Eva Kim préfère se tourner vers le domaine de l’e-sport – un semblant de nouveauté apprécié, même si des parallèles se tissent naturellement entre les idols et les joueurs professionnels : la célébrité, les sponsors, et la pression qui va avec. Impossible d’ailleurs de ne pas voir dans la notoriété de Young-jae un parallèle avec le réputé Faker et son équipe T1, cinq fois champions du monde de League of Legends. Bien que les règles de la licence imaginée par Eva Kim ne soient pas explicitées, l’univers autour du jeu vidéo semble cohérent.
La plume de l’autrice est parfaitement dans le ton d’un roman jeunesse ; la narration à la première personne et les réflexions tantôt amusantes tantôt confuses de Hae-rin amènent relativement bien le lecteur à s’identifier à elle, malgré son comportement plutôt passif. Le rythme du récit s’étire dans la première partie à la manière d’un K-drama pour trouver un équilibre plus maîtrisé dans la seconde moitié du roman. Les références culturelles rendent la lecture immersive et naturelle ; on sent une réelle appréciation de la culture coréenne de la part de l’autrice française. Un autre point positif est l’intégration de personnages non-coréens, globalement inexistants dans la littérature coréenne alors que les étrangers représentent 5% de la population de Corée en 2024. Outre la romance, la relation entre Hae-rin et son petit frère est un autre point touchant.
Néanmoins, le comportement mécanique de Hae-rin et sa tendance à se laisser porter par son environnement sans grande prise de risque ne permet pas toujours au lecteur de se sentir pleinement investi, surtout dans la première partie de l’histoire. On comprend que notre héroïne fonctionne dans la retenue et le calcul, mais il est difficile d’identifier le moment où ses sentiments passent de la simple curiosité à l’attirance envers Young-jae.
Un dernier point particulièrement sous-traité est celui des troubles du comportement alimentaire, dont souffre très clairement Hae-rin sans que pour autant le trouble soit identifié ou pris au sérieux. Malgré les multiples mentions de repas sautés, d’addiction à la caféine et d’un évanouissement, son entourage la réprimande avec beaucoup de légèreté : « Tu es tellement dans ta tête qu’en plus d’oublier de manger, tu ne captes rien de ce qui se passe autour de toi. » (p.257) À titre éducatif, cette ligne narrative aurait mérité d’être davantage prise au sérieux, surtout pour une histoire visant un jeune public.
À un clic de toi reste une lecture sympathique qui exploite bien les codes du K-drama. Un détail amusant pour terminer : les chapitres sont titrés à la manière d’une to-do list, avec une case à cocher, sauf pour le dernier chapitre – un signe que Hae-rin évolue positivement en se détachant de ses habitudes obsessives.
À un clic de toi Eva Kim Les Livres du Dragon d’Or, 2024 228 pages, 14,95€
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Lee Hae-rin est une élève assidue et une fille modèle. Chaque instant de sa vie est une case à cocher dans son interminable liste de choses à faire. Mais sa réussite n’est pas vraiment sienne – peut-être essaie-t-elle simplement de combler le vide existentiel qui la menace si elle ne renvoie pas l’image parfaite qui est attendue d’elle. Loin est son enfance insouciante, aujourd’hui les non-dits rythment sa relation avec sa mère. Impossible de lui avouer qu’elle a déserté les cours privés pour se réfugier au cybercafé de son oncle. Impensable de lui partager qu’elle dessine des webtoons de romance. Enfin là aussi, l’exercice est difficile – l’inspiration s’étiole et ses projets peinent à voir le jour.
Shin Young-jae est son exact opposé – sa réputation d’étudiant taciturne et absentéiste lui a valu le surnom de « Gwi Shin », le fantôme. Un sobriquet ironique quand on sait qu’il est également Ghost, un joueur e-sport professionnel. Mais Young-jae tient à son anonymat et garde secrète cette part de lui en portant un masque. Alors, quand il oublie son sac au cybercafé, Hae-rin est loin d’imaginer que les cases rigoureusement tracées dans lesquelles elle s’est enfermée vont s’effondrer les unes après les autres.
Alors que la tendance est aux romances de K-pop, Eva Kim préfère se tourner vers le domaine de l’e-sport – un semblant de nouveauté apprécié, même si des parallèles se tissent naturellement entre les idols et les joueurs professionnels : la célébrité, les sponsors, et la pression qui va avec. Impossible d’ailleurs de ne pas voir dans la notoriété de Young-jae un parallèle avec le réputé Faker et son équipe T1, cinq fois champions du monde de League of Legends. Bien que les règles de la licence imaginée par Eva Kim ne soient pas explicitées, l’univers autour du jeu vidéo semble cohérent.
La plume de l’autrice est parfaitement dans le ton d’un roman jeunesse ; la narration à la première personne et les réflexions tantôt amusantes tantôt confuses de Hae-rin amènent relativement bien le lecteur à s’identifier à elle, malgré son comportement plutôt passif. Le rythme du récit s’étire dans la première partie à la manière d’un K-drama pour trouver un équilibre plus maîtrisé dans la seconde moitié du roman. Les références culturelles rendent la lecture immersive et naturelle ; on sent une réelle appréciation de la culture coréenne de la part de l’autrice française. Un autre point positif est l’intégration de personnages non-coréens, globalement inexistants dans la littérature coréenne alors que les étrangers représentent 5% de la population de Corée en 2024. Outre la romance, la relation entre Hae-rin et son petit frère est un autre point touchant.
Néanmoins, le comportement mécanique de Hae-rin et sa tendance à se laisser porter par son environnement sans grande prise de risque ne permet pas toujours au lecteur de se sentir pleinement investi, surtout dans la première partie de l’histoire. On comprend que notre héroïne fonctionne dans la retenue et le calcul, mais il est difficile d’identifier le moment où ses sentiments passent de la simple curiosité à l’attirance envers Young-jae.
Un dernier point particulièrement sous-traité est celui des troubles du comportement alimentaire, dont souffre très clairement Hae-rin sans que pour autant le trouble soit identifié ou pris au sérieux. Malgré les multiples mentions de repas sautés, d’addiction à la caféine et d’un évanouissement, son entourage la réprimande avec beaucoup de légèreté : « Tu es tellement dans ta tête qu’en plus d’oublier de manger, tu ne captes rien de ce qui se passe autour de toi. » (p.257) À titre éducatif, cette ligne narrative aurait mérité d’être davantage prise au sérieux, surtout pour une histoire visant un jeune public.
À un clic de toi reste une lecture sympathique qui exploite bien les codes du K-drama. Un détail amusant pour terminer : les chapitres sont titrés à la manière d’une to-do list, avec une case à cocher, sauf pour le dernier chapitre – un signe que Hae-rin évolue positivement en se détachant de ses habitudes obsessives.
À un clic de toi
Eva Kim
Les Livres du Dragon d’Or, 2024
228 pages, 14,95€