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Capitaine de l’espace

À quoi rêvent les petites filles ? Avec son héroïne entreprenante et ambitieuse, Kim Minu s’affranchit des stéréotypes encore vivaces en Corée comme en France.

Capitaine de l'espace
© Ki Minu / L’École des Loisirs, 2025

À quoi rêvent les petites filles ? Qu’en est-il de la prescription sociale dans les livres pour enfants ? Contre une norme obsolète à laquelle d’aucun.es voudraient bien nous réduire encore, Kim Minu imagine un tout autre scénario, car aujourd’hui, n’est-ce pas, pour les filles, tout est permis ! Alors, allons-y !

La double page introductive avant la page de titre annonce le programme : Kim Minu, qui a travaillé longtemps dans le cinéma d’animation, y déploie les plans légendés d’une fusée et l’itinéraire d’un voyage d’exploration spatiale autour de la Terre ! Et son héroïne sera Capitaine de l’espace, un titre et des galons à la mesure d’un projet d’enfance, qui sonnent comme le générique d’un de ces animés d’aventure et d’action si populaires ! L’identification fonctionne au maximum avec un texte à la première personne, et un personnage féminin dont on ne connaîtra pas le prénom, bien au centre de l’image dans son costume de spationaute. En regardant tout là-haut la fusée qui jaillit, elle proclame : « C’est mon rêve, d’aller dans l’espace ! »

Entourée d’éléments de vie quotidienne très reconnaissables, ses animaux familiers pour confidents, l’enfant rêve, et surtout réfléchit. Elle décide de construire sa propre fusée, comme d’autres construisent des cabanes, ou s’enfoncent dans la forêt des jardins comme des explorateurs à l’aventure. Le naturel de la fillette créée par Kim Minu, sa détermination, son assurance, sa préparation méthodique déjouent les stéréotypes encore vivaces, et participent à la consolidation de nouveaux modèles.

© Kim Minu / L’École des Loisirs, 2025

L’illustration est claire et précise, avec un parti-pris de références à l’enfance dans la douceur du trait, la rondeur des silhouettes ; on retrouve le goût de Kim Minu pour la nature, découvert dans L’escargot, et sa délicatesse pour traiter le végétal, l’atmosphère du jardin. La palette de couleurs varie en fonction des scènes diurnes, fraîche et printanière, ou nocturnes dans des tons assourdis, quand la petite équipe s’attelle à la construction de la fusée dans un atelier en plein air, juste éclairé par deux lampes de poche, avec pour autant, beaucoup de méthode et de préparation.

Des plans en contre-plongée pour figurer la hauteur de la fusée, en plongée pour revenir à l’espace de la chambre quand l’enfant s’allonge pour dormir, renforcent l’attractivité de l’image. Que se passe-t’il alors ?  La fiction est un incubateur de rêves et facilite leur réalisation. Notre spationaute en herbe est prête pour un voyage incroyable dans sa fusée en carton, où le réalisme est à la mesure de l’investissement de l’enfant dans son projet. L’image s’incline peu à peu pour suivre le décollage et la formidable propulsion qui la colle au siège jusqu’à ce que la paix enfin s’installe : ça y est, elle y est, avec le ciel nocturne illuminé d’étoiles, et la Terre au loin comme un mirage !

© Kim Minu / L’École des Loisirs, 2025

Cette alliance entre réalisme et onirisme fait la force de cet album remarquable, qui enchantera les lecteurices de tout genre et de tout poil. Kim Minu contribue activement à la légitimation des rêves de filles, en Corée comme en France grâce à la traduction de Park Yoon-sun, où la résistance au changement demeure forte et irrationnelle. Souhaitons qu’avec des albums de cette ambition, les filles soient toujours plus nombreuses à s’affranchir des préjugés !


Capitaine de l’espace
Kim Minu
Traduit du coréen par Park Yoon-sun
L’École des loisirs, mars 2025
60 pages, 15€