Les figures du récit autobiographique de Choi Juhyun sont presque toutes là, en tout cas, leur souvenir est convoqué, d’une plume toute en légèreté, qui les dessine et les colore des douces teintes fanées du souvenir.
Halmé, c’est le diminutif de Halmoni, grand-mère en coréen, mémé donc, en bon français, comme le rappelle Philippe Torreton dans son dernier opus¹. Une grand-mère, ça compte dans la vie… Surtout si elle raconte bien les histoires.
Quelques pages de théâtre d’ombres, ou papiers découpés, noir sur fond gris introduisent l’histoire, comme un prologue de théâtre antique. Choi Juhyun situe et découpe son récit en intercalant ces pages gris-noir, rappels de souvenirs, rêves, cauchemars, entremêlant faits historiques et créatures mythologiques, en fait tout l’imaginaire d’une grand-mère d’autrefois.
Et puis, entre ces interludes, Choi Juhyun nous présente aussi sa famille et la place de Halmé. Devenue vieille, celle-ci erre entre les foyers de ses enfants, sans trouver une vraie place. Pourtant, la petite fille apprend beaucoup de sa grand-mère, les contes, les secrets, les recettes pour faire fuir les âmes errantes des morts. Dans les gestes du quotidien, pleins de tendresse, la grand-mère imprime sa marque dans le cœur de l’enfant. Les dessins se font sobres, des petites vignettes sans cadre racontent une histoire simple, des dialogues réalistes, pas de discours, la vie quoi.
Cette vie qui entraîne peu à peu cette discrète Halmé vers la mort, qu’elle ne semble pas craindre. Une mort qu’elle accueille comme elle ouvre les bras au Tigre en introduction, sereinement, sans pathos, mais sans impatience non plus. Choi Juhyun rend hommage à ces femmes du XXe siècle, qui ont grandi dans la Corée confucianiste qui déniait aux filles et aux femmes d’autre droit que celui d’obéir, qui ont connu l’humiliante colonisation japonaise, voire l’exploitation sexuelle. Puis la guerre civile a déchiré le pays et les familles de ce pays, elle a rompu les équilibres, elle a dévasté les espaces. Les femmes, seules, ont dû se battre et résister, pour sauver leurs enfants et survivre. Comme Halmé.
Aujourd’hui, elles sont très âgées, et leur monde est un univers parallèle à la société contemporaine, réalité futuriste centrée sur la technologie et la vitesse. La rupture semble irrémédiable. Elles sombreraient dans l’oubli si Choi Juhyun ne rappelait pas qu’elles sont le lien, celles qui ont engendré les hommes d’aujourd’hui, mais qui sont issues des générations qui tutoyaient les dieux.
Du théâtre des ombres du passé à la prosaïque réalité d’une enfance toute simple, Choi Juhyun raconte en images que l’on doit à nos parents le monde d’aujourd’hui, et qu’en oubliant son enfance, son origine, on piétine leur souvenir et celui de leur vie.
Une œuvre poétique, sensible et universelle.
[1] Mémé, de Philippe Torreton. Editions L’Iconoclaste, 2014
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