Un cercle d’intellectuels engagés, réunis pour mieux se rendre jusqu’à la lointaine République populaire démocratique de Corée alors tout juste née d’une guerre fratricide. Certains ont déjà affronté la Sibérie, d’autres la Chine — et plus tard, ce sera Cuba. Poussés par une curiosité de ce pays encore méconnu qu’est la Corée du Nord, invités par les autorités du pays elles-mêmes, le groupe d’artistes-militants se rend cette fois à Pyongyang. Un voyage qui donnera naissance à Coréennes, album de photographies de Marker, et Moranbong, film français tourné sur le sol nord-coréen, qui deviendra légende suite à la censure infligée par la France des années 50, encore secouée par la guerre d’Indochine et les révoltes algériennes.
Ce sont sur leurs traces que nous entraîne Antoine Coppola, enseignant-chercheur, auteur, et surtout cinéphile qui n’hésite pas à nous plonger dans l’avant et l’ailleurs — avant que Lanzmann ne se fasse connaître par ses documentaires, avant que Bonnardot ne trouve sa voie dans le monde du spectacle, avant que Gatti ne se mette lui aussi au cinéma. Un formidable voyage entre France et Corée, entre théâtre, photographie et œuvre littéraire, entre auteurs, réalisateurs et autres artistes, entre passé, présent et futur, entre fiction et réalité.
Dans ce Ciné-voyage en Corée du Nord agrémenté de photographies donnant au tout des airs de carnet de route, l’auteur prend toujours le temps de contextualiser les faits, livrant un éclairage à la fois politique et historique indispensable à la bonne compréhension des événements de l’époque. Il n’hésite pas à comparer, lier, assembler pour mieux enrichir et compléter cet univers lointain, en combinant par exemples les photographies commentées de Coréennes et les images de Lemarque, deux témoignages visuels qui, croisés, donnent un meilleur aperçu du régime de Kim Il-sung et dévoilent la vie quotidienne des Français à Pyongyang (un aspect du récit totalement absent dans l’album de Marker).
Coppola continue d’user de cette abondance d’informations jusque dans la seconde partie du livre consacrée à Moranbong lui-même, où, loin de noyer le néophyte sous un incompréhensible jargon cinématographique, il parvient à transmettre passion et savoir sans faire la leçon. A travers l’analyse du long-métrage, on y apprendra l’amour de Gatti pour l’opéra asiatique, qui l’aura poussé à faire de l’histoire de Chunhyang un élément central du film, on y verra l’influence de son approche de dramaturge, de l’avant-garde et du réalisme socialiste nord-coréen, ainsi que les différences avec le synopsis original — car sans se contenter de la simple étude du produit fini, Coppola toujours se penche sur les êtres humains qui s’y cachent jusqu’à nous dépeindre un tableau grouillant de vie — jusqu’à nous donner l’impression d’avoir Coréennes entre les mains, Moranbong devant les yeux, animés par la voix de leurs auteurs qui décidément ont bien des choses à nous dire.
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