Comme le montre le succès inconditionnel de la franchise cinématographique de la série Harry Potter, les œuvres littéraires de qualité ne cessent de prouver qu’elles peuvent être des sources idéales pour des adaptations multimédia. Cette tendance est aussi à l’œuvre en Corée. Les scénaristes de dramas télévisés sont constamment à la recherche de matériau de travail, pioché dans les histoires des romans, et à l’inverse, on achète les droits de certains dramas pour en faire des romans. Ces pratiques prennent part à la progression naturelle de l’industrie du divertissement contemporaine, qui cherche à maximiser les profits grâce à diverses adaptations d’un seul et même contenu.
- Du roman au drama
En Corée, les romans les plus adaptés à la télévision sous forme de dramas appartiennent au genre de la fiction. Nombre de ces œuvres, signées par des inconnus ou de jeunes auteurs, ont été sélectionnées dans des maisons d’édition de taille moyenne et ont été changées en véritables succès.
Récemment en 2011, le drama historique sur le roi Sejong créateur du hangeul, « The deep-rooted tree » a été adapté depuis le roman éponyme de Lee Jung-myung. Ce dernier, spécialiste de la fiction historique et des intrigues originales, parvient à reconstruire à la perfection le processus de développement du système d’écriture coréen et imagine les conflits que sa création aurait pu susciter à l’époque, en creusant beaucoup plus profond que ce dont nous informent les annales de la dynastie Joseon. L’autre but de l’histoire est de montrer le grand roi Sejong, incontestable préféré de l’ère de Joseon, sous un autre jour. Notons également que la participation du duo Kim Young-hyun et Park Sang-yeon (de « The Great Queen Seondeok ») a contribué à faire le buzz.
« The painter of the wind » (2007) est une autre adaptation de l’œuvre de Lee Jung-myung. On postule ici que Shin Yun-bok, brillantissime peintre de l’époque Joseon, était en fait une femme. C’est Moon Geun-young, surnommée « petite sœur de la nation », qui occupe le rôle de Shin Yun-bok dans le drama, ce qui a poussé certains à l’appeler « petit frère de la nation ». L’idée que Shin Yun-bok soit en réalité une femme se retrouve dans le film « Portait of a beauty », paru approximativement à la même période.
Le drama « Sungkyunkwan Scandal » (2010) est tiré d’une romance historique de Jeong Eun-gwol, qui raconte l’histoire de quatre adolescents de l’époque de Joseon. Une fille issue d’une famille de nobles ruinée se fait passer pour un garçon pour entrer à l’université Sungkyunkwan. Avec une intrigue basée sur le cliché de « la fille déguisée en garçon », le drama raconte la fin de l’adolescence de quatre étudiants, moquant la société patriarcale de l’époque et aspirant à une nouvelle ère avec les réformes du roi Jeongjo. Grâce à la très forte popularité du casting, comprenant notamment Song Joong-ki et Park Yu-cheon, ex TVXQ, le drama s’est fait une place confortable dans la vague coréenne hallyu. Les films d’époque et les histoires de genres cachés sont des plus demandés dans les dramas coréens. Le motif de la fille qui se fait passer pour un garçon sert de catalyseur pour défier les paradigmes fixes du patriarcat et de l’hétérosexualité, tout en remettant en question l’ordre du monde. La réécriture fictive de l’histoire montre quant à elle un changement dans la perception sociale qui permet à l’histoire de devenir sujet de reconstructions légères et amusantes, plutôt que de conserver la lourdeur du poids du passé.
D’autres dramas ont été adaptés à l’écran d’après des romans, comme « My lovely Sam-soon » en 2005, d’après Ji Su-hyeon et sa version coréenne du Journal de Bridget Jones ; « Coffee Prince » en 2007, d’après la comédie romantique de Lee Seon-mi où l’on retrouve la fille déguisée en garçon et le thème de l’homosexualité ; « Gyeongseong Scandal » la même année et d’après le même auteur, une histoire d’amour avec l’oppression politique de la colonisation japonaise en toile de fond ; ou encore « Rooftop Room Cat » en 2003, d’après la romance de Kim Yu-ri qui met en scène une héroïne issue d’un milieu humble mais remplie d’énergie positive. Ce dernier exemple est la première adaptation d’un roman publié sur internet, et son succès a renforcé la popularité des fictions commerciale en tant que matériau source pour les dramas.
Hormis « Gyeongseong Scandal », chacun de ces dramas est une comédie romantique typique de la rencontre entre un homme riche et une femme moins aisée. Néanmoins, ils ont tous évité de tomber dans le cliché en créant des modèles féminins confiants et honnêtes. Par exemple, « My lovely Sam-soon » met en scène une Kim Seon-ah chef patissière au regard franc ; « Coffee Prince » propose une Yoon Eun-hye énergique issue d’un milieu humble qui se déguise en homme pour obtenir un emploi dans un café au personnel uniquement masculin. Dans chaque drama, les riches garçons attirants et pas très bien élevés tombent amoureux de la fille honnête, touchant l’ego des téléspectatrices.
Même si les fictions historiques restent les plus demandées, les fictions littéraires ont aussi été adaptées en dramas ou en films. « The immortal Yi Sunshin » en 2004 mettait l’accent sur la vie privée de l’amiral Yi Sunshin, d’après le roman de Kim Hoon, Le chant du sabre et un autre de Kim Tak-hwan. Journaliste devenu romancier, Kim Hoon montre la lutte de l’individu contre le discours social dominant et pour protéger son identité. Le portrait qu’il dresse de Yi Sun-shin détourne l’image du héros national pour dévoiler un côté personnel, ce qui plait aux spectateurs presque autant qu’aux lecteurs (le roman est très populaire). Un second roman de Kim Tak-hwan sur la célère kisaeng Hwang Jin-i a été adapté sous forme de drama en 2006. Cette figure emblématique de l’époque de Joseon y défie les limites imposées par la société grâce à sa beauté, son talent et son intelligence. C’est Ha Ji-won qui tient le premier rôle et transmet l’image d’une femme forte et indépendante qui parvient à défier son destin.
Écrivain passionné qui a délaissé la sécurité du professorat pour se dédier à l’écriture, Kim Tak-hwan a écrit de nombreux romans adaptés avec succès à l’écran, comme le film récent Detective K : the Secret of a Virtuous Widow.
Le roman de Jung Yi-hyun, My sweet Seoul, a été adapté en 2008 dans un drama éponyme qui dépeint la vie amoureuse de jeunes citadines. L’actrice Choi Kang-hee, fashionista reconnue parmi les Coréennes, a reçu de nombreux éloges sur son illustration de la femme moderne.
La préférence accordée aux fictions historiques s’explique notamment par la lente réponse de la littérature sérieuse à incorporer les changements sociaux et les nouveaux modes de vie que les dramas télévisés peuvent ingérer de façon presque instantanée. La littérature coréenne, par contre, a offert de nombreuses sources aux films coréens, connaissant de nos jours un second âge d’or. My Wife Got Married, sorti en 2008 avec Son Ye-jin dans le premier rôle féminin, est une adaptation d’un roman de Park Hyun-wook. Il a fait sensation au moment de sa sortie. L’histoire tourne autour d’une femme qui ose avoir et un mari et un amant.
Les œuvres de Gong Ji-young ont-elles aussi donné naissance à des films réussis comme Nos jours heureux en 2005 ou Les Enfants du silence en 2011. Le premier met en scène Kang Dong-won et Lee Na-young, et se propose d’explorer la question de la peine de mort, au point de provoquer un mouvement pour son abolition ; le second, avec Gong Yoo, est l’histoire d’un abus sexuel horrible commis dans une école pour enfants handicapés, montrant un système corrompu et sans le sou qui ignore les injustices, dans le contexte difficile de la question des abus sexuels commis sur des enfants. Ecrivain de la génération 386 (née dans les années 1960 et ayant connu l’université des années 1980 lors de la chute de la dictature militaire), Gong propose des œuvres focalisées sur les problèmes sociaux qui sont donc intéressantes à adapter à l’écran.
Ces dernières années, ce sont les romans graphiques qui ont la côte pour les adaptations télévisées. Kang Full et Huh Young-man sont parmi les auteurs les plus demandés. Kang Full est très connu pour ses œuvres aux messages humanistes, souvent transposées à l’écran comme APT en 2006, Innocent et The Fool en 2008, I love you en 2010 et Pain en 2011. La popularité des romans graphiques ne s’est toutefois pas retrouvée à l’écran.
Par contraste, les œuvres de Huh Young-man ont connu le succès des deux côtés, avec par exemple Tazza : the High Rollers en 2006, avec Jo Seung-woo et Kim Hye-su au casting, ou Le Grand Chef, transformé en deux films en 2007 et 2009, et un drama télévisé en 2008.
L’artiste Yoon Tae-ho, créateur de romans graphiques a également proposé son œuvre Moss à l’écran en 2010, sous la houlette de Kang Woo-suk, qui a mis en valeur la force des intrigues. Les dramas « Full House » en 2004 avec Song Hey-kyo et Rain, et « Marry Me, Mary » en 2010 avec Moon Geun-young et Jang Geun-suk sont tirés des œuvres graphiques de Won Su-yeon.
- Du drama au roman
Le passage du drama au roman se fait lui-aussi de plus en plus courant. C’est particulièrement vrai pour les dramas à succès, dont la majorité ont été adaptés en roman. Récemment, une forme de romans graphique proposant seulement les scènes du drama et le dialogue est de plus en plus appréciée.
La majorité des dramas à succès comme « Secret Garden » en 2010, qui a hissé Hyun Bin au rang de super-star, « You’re Beautiful » en 2009, qui a accru la popularité de Jang Geun-suk au Japon, « My Girlfriend is a Nine-tailed Fox » en 2010 et « The Greatest Love » en 2011 ont été adaptés dès la diffusion de leur dernier épisode en roman ou en roman graphique. Dans certains cas, l’adaptation romanesque est commandée à l’avance d’après le synopsis du drama, afin que les deux paraissent simultanément. L’adaptation romanesque de « The Princess’ Man », un drama sur une romance façon Roméo et Juliette à l’époque des guerres de Joseon, en fait partie, tout comme l’adaptation du drama à succès « The Great Queen Seondeok » en 2009. Ce dernier a ouvert la voie à une vague de dramas politiques féminins en se focalisant sur le personnage de Mi-shil, figure historique brièvement mentionnée dans le Hwarangsegi. Les dramas célèbres comme « Winter Sonata » en 2002 et « Dae Jang Geum » en 2003 ont tous été adaptés sous forme de roman, comédie musicale, animation, et manhwa.
L’adaptation romanesque des dramas populaires devient de plus en plus commune, suivant un modèle économique de diversification permettant de générer un maximum de profit d’après une seule et unique source. Le moteur du marché le plus puissant en matière d’adaptation romanesque est le soutien des fans en Corée ou à l’international, qui ne demandent que de revoir le drama sur d’autres supports.
C’est le cas de l’auteur Noh Hee-kyoung, dotée de nombreux fans, qui a publié un recueil de ses scripts de dramas et des adaptations romanesques de ses propres dramas. Le quatuor « The Most Beautiful Goodbye » qu’elle dédie en 1996 à sa mère décédée a aussi été changé en roman. Les scripts qu’elle a publiés ont reçus de bonnes critiques, comme « The World That They Live In » en 2008, qui raconte la vie et les amours de collègues d’une entreprise d’audiovisuel, avec Song Hye-kyo et Hyun Bin ; « Lie » en 1998, le drama qui a lancé sa carrière grâce au regard virulent porté sur le psychisme d’un couple adultère ; et « Goodbye Solo » en 2006, histoire de personnes qui souffrent d’une solitude dont il est difficile de se défaire, qu’ils trouvent l’amour ou non.
Traduction Lucie ANGHEBEN
Avec l’aimable autorisation du KLTI
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