Au revoir Jean,
Jean Bellemin-Noël nous a quitté lundi dernier, à l’âge de 91 ans, victime des suites d’une chute. Élève de Louis Legrand et de la rue d’Ulm, agrégé de lettres classiques et docteur en philosophie, il fut nommé maître de conférences, puis professeur, et enfin professeur émérite à l’Université Paris 8. Jean Bellemin-Noël avait orienté très tôt ses recherches sur la psychanalyse des textes, avant de fonder sa propre méthode qu’il nomma textanalyse, publiant une vingtaine d’ouvrages sur la question, tels que Psychanalyse et littérature, Lire de tout son inconscient, Vers l’inconscient du texte, ou encore Gradhiva au pied de la lettre. Son œuvre est l’une des plus importantes en matière de lecture psychanalytique des textes littéraires. Il était aussi le directeur-fondateur de la collection « Le texte rêve » aux Presses universitaires de France. En 2000, il co-traduisit Saisons d’exil d’Yi In-seong, avec Choe Ae-young, et après un séjour d’un an comme professeur invité à l’Université nationale de Séoul, toujours avec Choe Ae-young, il poursuivit ce travail de co-traduction des jeunes auteurs tels que Jung Young-moon ou Choi Jae-hoon. Tatillon, scrupuleux, il remettait toujours des copies impeccables, sans jamais économiser les versions, sans cesse améliorées. Il publia dans la revue Keulmadang de nombreuses études sur Kim Young-ha ou Kim Kyung-uk, par exemple.
Jean, c’était aussi l’ami. Le verbe aussi haut que sa culture et son intransigeance, à propos de style et de grammaire. La faute de syntaxe (elles ne manquèrent pas) qu’il pardonnait moins facilement que la faute d’orthographe ou la coquille (qui répondaient aussi à l’appel). En contrepartie, il était toujours présent à nos côtés, nous pouvions compter sur lui. Il n’était pas le dernier à goûter aux plaisirs de la vie, la camaraderie en faisant partie. Avec Franck et Hye-gyeong, nous nous souvenons encore des rencontres littéraires que nous animions ensemble à Paris, à Aix, à Arles et des soirées qui suivaient, en compagnie de Nathalie sa femme artiste et d’auteurs amis, et de nos franches rigolades. L’âge venu, il s’était mis en retrait de la traduction mais conservait la vitalité et le verbe que nous lui connaissions. Il y a à peine quelques semaines il nous promettait, lorsqu’il serait rétabli, un texte sans donner plus de détails, et dans ce court message, son style, sa lucidité nous frappèrent à nouveau. Malgré l’âge, il avait encore beaucoup à donner, beaucoup à nous apprendre. Ce matin, sur la messagerie électronique, déroulant la liste des contacts, son adresse est apparue. Je n’ai pas eu le courage de l’effacer. Au revoir, ami.