Suzy Lee dédie L’Été de Vivaldi à sa mère « qui mettait toujours de la musique quand j’étais enfant », écrit-elle. C’est dire si l’artiste qui a reçu le Prix Andersen en 2022, a grandi dans un univers chatoyant de sonorités diverses, dont on retrouve tout au long de son œuvre les explosions colorées, les traits dynamiques, pleins de force, et la joie de l’enfance pleine de fantaisie et d’éclats de rire.
Aussi ce nouvel album autour de L’Été, l’une des Quatre saisons d’Antonio Vivaldi musicien vénitien du 18ème siècle, violoniste, nous apparaît comme la somme de l’art de Suzy Lee, pour tout dire : un enchantement.
L’objet lui-même est déjà un cadeau : superbe livre, grand et lourd, de ceux qui marquent l’enfance et se gardent précieusement. La couverture porte la marque de l’artiste : la musique choisie est un monument, mais la silhouette crayonnée avec le jet de gouttes bleues qui retombent sur elle comme autant de gommettes rondes est l’expression même de l’enfance ô combien maîtrisée de la plasticienne-poète … Surprise ! La jaquette se déplie comme une affiche, avec au verso la partition musicale, et les enfants qui dansent sur la portée. La couverture en dur est bleue comme un ciel d’été.
Ouvrons le livre. Grâce au relais vers la bande son, le lecteur est emporté par la musique. Quelle belle idée ! L’introduction se fait sur papier glacé, l’instant est solennel, et la rangée de fauteuils de velours noirs qui s’aligne déjà en bas de page nous fait entrer dans le décor, la salle de concert. Sur scène le piano. À la tourne, les musiciens s’installent sur le fond d’un rideau bleu profond comme la mer. C’est l’annonce du premier mouvement. Le texte inspiré du sonnet de Vivaldi, posé au centre de la page comme un rappel de sa forme première, est une initiation aux correspondances de Baudelaire, « les couleurs et les sons se répondent », l’atmosphère de l’été emplit la salle sous les stridulations des cordes qui suspendent le temps : le rideau s’ouvre.
Alors la création de Suzy Lee s’épanouit. Elle rassemble toutes ses pratiques plastiques, silhouettes crayonnées dynamiques comme dans l’extraordinaire album Les petits peintres nus (Sarbacane, 2008) grands aplats de couleurs, collages minutieux qui soulignent le mouvement, élancements infinis de crayon pour des lignes tourbillonnantes, nuées de poussière et averses de gouttelettes colorées, elle suggère aussi bien l’éblouissante joie que la menace de l’orage qui éclate, sur un ciel bas, noir, bousculé de vent violent, où les portées de notes viennent s’incruster et marteler la page comme les grosses gouttes d’orage qui s’écrasent en symphonie. Et les trois mouvements égrènent leur variation mélodique ensorcelante pendant qu’inlassablement l’enfant tourne les pages.
Le spectacle commence : une silhouette dressée, poing levé, bouche ouverte dans un cri sauvage, c’est Peter Pan qui entraîne les Enfants perdus dans la danse ! Sur la double page suivante, c’est la fête ! Le jeu, les jets d’eau qui tournoient, les bousculades, de cris de joie en cris de guerre, sous le pinceau de Suzy Lee, le soleil fait étinceler les couleurs, ça saute, ça gambade, ça bondit d’une page à l’autre, à plusieurs en panorama, ou tout seul en gros plan ; le dynamisme du jeu est porté par le basculement brutal de la perspective, l’assaut de traits qui pointent sur le sujet, l’explosion des gouttes de peinture sur la page. Toujours la musique soutient le propos. Grâce à elle, l’imagination s’envole.
Dans le chapitre inspiré par le deuxième mouvement, le tonnerre gronde, les éléments se déchaînent en bleu, gris et noir alors que les violons s’emportent, les crayons strient la page de portées de nuages, où les notes crayonnées et les gouttes gommettes résonnent en écho, jouées par les enfants, minuscules silhouettes perchées sur les portées comme autant de clés d’interprétation. Sous la pluie torrentielle, les enfants entament une danse d’Indiens. Et puis les nuages obscurcissent tout à fait l’horizon, la lumière disparaît, il fait tout noir y compris sur la scène, les enfants se sentent bien seuls tout à coup, sous la lumière des éclairs qui leur font dresser les cheveux sur la tête.
Le temps d’un arc-en-ciel fugace, et l’orage reprend de plus belle pour le troisième mouvement, l’orchestre tonne, le vent emporte tout sur son passage, un fragile parapluie rouge, une ligne de solo de violon, se retourne et virevolte sous le trait de Suzy Lee qui s’emballe au rythme de la musique ; on le suit, fragile dans la tempête, il disparaît, reparaît, au gré des bourrasques et des nuages. L’artiste insère un focus sur les archets des violons qui vibrent comme la pluie martèle la terre avec force. Le soliste résiste au courant, de grands aplats saturent la page comme un ciel, passant peu à peu de l’obscurité de la nuit au bleu et blanc d’une éclaircie. L’orage s’éloigne emportant le parapluie, les enfants rentrent en riant, la musique s’achève, c’est fini. Quelle après-midi, et quel moment unique de lecture…
L’été, comme si vous y étiez. Merci Suzy Lee.
L’Été de Vivaldi
Traduit par Alain Serres
Suzy Lee
Rue du Monde édition, 144 pages, 24€
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