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Têtes de mule

Kim Sung-mi, nouvelle autrice-illustratrice traduite du coréen, n’est pas une Tête de mule, elle : la voici qui vient à notre rencontre avec ce bel album sur l’ouverture à autrui !

Ah que c’est difficile les interactions sociales ! Dire bonjour, dire merci, demander comment ça va… Et il n’y a pas d’âge pour ça ! D’ailleurs dans la vie du quartier imaginé par Kim Sung-mi, le jeune Fox et son voisin Monsieur Loup ont bien du mal à s’y résoudre. Le problème, c’est que plus le temps passe, plus il est difficile de sauter le pas, surtout quand la bonne volonté est empêchée brutalement par un évènement imprévisible, que la rancœur s’installe et envenime l’atmosphère : alors, plus rien ne semble possible. Quelles Têtes de mule !

Le malaise de la première rencontre, l’embarras de devoir se présenter, d’affronter un inconnu, voire un groupe, voilà un thème qui semble préoccuper les autrices coréennes que les lecteurs et lectrices de Keulmadang découvrent ces derniers temps : l’ours Bleuet est aussi un peu empêché par timidité sans doute, sans parler de Crapaud rouge, qui ne veut pas d’autre ami que Crapaud blanc bien plus sociable et partageur ! Tous ces ouvrages abordent la question de l’ouverture à l’autre, prémices de l’interactivité inhérente à la vie en société que l’on aborde aujourd’hui dès le plus jeune âge, à la crèche par exemple. C’est dire s’il est nécessaire d’en parler ensemble avec les enfants, de l’imaginer grâce à de multiples scénarios supports d’identification et d’éducation.

Le message passe d’autant mieux que dans ce Têtes de mule-là, Kim Sung-mi peaufine son illustration au poil près : rien n’est laissé au hasard. Sauf sur la couverture, tous les dessins sont en noir. Précis au millimètre, très détaillés jusque dans les plaques nominatives à l’entrée des maisons, les numéros des immeubles qui se voient de très loin, les enseignes des boutiques qui s’étagent sur plusieurs niveaux, comme à Séoul… La traduction entérine ce choix et donne la version française de chaque indice de vie qui permettra au lecteur, à la lectrice de s’y retrouver.

Sur ces décors très réalistes se détachent comme deux marionnettes, les silhouettes stylisées et colorées des deux protagonistes aussi hésitants, butés et de mauvaise foi quand même, Fox le rouge et Monsieur Loup le bleu. L’allure même de chacun les oppose : sur la couverture, en introduction, alors qu’ils se croisent, Fox est tout en avant, les oreilles en visière et le museau pointé quand Monsieur Loup marchant d’un bon pas laisse ses oreilles et sa queue flotter en arrière dans le vent : une jolie manière d’indiquer que chacun ne s’arrêtera pas facilement !

Ainsi Kim Sung-mi nous transmet-elle très finement les états d’âme et les réactions de ces deux malpolis qui s’ignorent mutuellement tout en accusant l’autre d’incorrection. Sur leur profil, l’œil, pupille noire sur croissant blanc, concentre l’expression des émotions : réserve, doute, colère, mépris, elles sont toutes négatives. Mais après s’être ainsi ignorés, après avoir été séparés par la vie, qu’arrive-t-il lorsque l’on se rencontre par hasard ?

Un album où le dessin traduit précisément le propos, si bien que cette rencontre ratée représente parfaitement l’absurdité de toutes les rencontres ratées, tout en suggérant qu’il aurait été bien plus facile de faire le premier pas la première fois ! Une belle découverte.


Têtes de mules
KIM Sung-mi
Traduction de Chloé LABORDE
Éditions de L’Élan vert, 44 pages, 17€