Chroniques Manhwa & Webcomics Une société en métamorphose

Navillera

Le manhwa "Navillera" évoque l'histoire touchante d'un septuagénaire décidant de céder à un rêve d'enfant : celui d'apprendre la danse classique.

Couverture Tome 1 – Navillera . Édition Kbooks. NAVILLERA © 2017 HUN, JIMMY & SUPERCOMIXSTUDIO Corp

Comme beaucoup de lecteurs le savent, la danse est omniprésente en Corée du Sud. Des rues à la télévision, ce style de chorégraphie inédit est mis en avant par la K-pop, le genre musical qui a permit une expansion culturelle de la Corée du Sud. Cependant, c’est d’un genre de danse toute-à-fait particulier que traite Navillera (나빌레라  2022 en France) : la danse classique. Moins médiatisé que son confrère, le ballet rejoint la danse contemporaine dans la grâce et l’élégance. 

« Chaerok ! Je ne te propose pas de faire du sport. Mais essayes de t’essayer à l’art. La danse classique, ce n’est pas du sport. » 

Mère de Lee Chaerok, page 76

Shim Deokchul, soixante-dix ans, est une personne ayant vécu une vie difficile. En effet, la guerre de Corée et la reconstruction du pays ont laissé échapper son rêve d’enfant qui, après de nombreuses années, va peut-être enfin se réaliser.

À la fête de sortie d’hôpital de sa femme, Deokchul annonce à ses enfants qu’il veut accomplir un vieux fantasme qu’il avait étant petit en Russie : faire du ballet. Les réactions face à cette annonce sont multiples, bien que la grande majorité soit contre. Obsédé par cette idée, il passe outre les avis de sa famille, s’achète un corset, et commence à se rendre dans un centre de danse classique. Là-bas, il croise la route de Lee Chaerok, un jeune homme de vingt-trois ans que la vie n’a pas épargné. Son père lui a fait essayer de nombreux sports qui ont été des échecs ; il n’était ni doué pour les sports, ni pour l’école. Finalement, grâce à sa mère, il découvre et essaye le ballet, art dans lequel il se trouve être talentueux. Seulement, il n’y met pas tout son cœur, forçant son coach à lui attribuer une « nourrice » ; Deokchul. En échange des cours de danse de Chaerok, le septuagénaire devra transmettre tous les détails des entraînements et de la vie privée du jeune homme. Peu à peu une relation naît entre les deux protagonistes mais, est-ce que Chaerok arrivera à devenir un danseur de haut niveau ? Et est-ce que Deokchul arrivera à réaliser son rêve d’enfant ? Où va mener ce lien inter-génération ? À une amitié ?

Navillera commence avec des thématiques chocs. Comme certains peuvent s’y attendre, le fait que le personnage principal soit un senior rend l’histoire très émouvante, nostalgique, d’autant plus que le sujet de la mort est souvent mis en avant.

Dès le départ, le scénariste Hun pose les bases. Il présente le personnage de Shim Deokchul à travers une situation sombre ; celui-ci demande à des employés de déchetterie, qui sont comparables à ses collègues de travail, si sa tenue est correcte, mais peu de temps après, les lecteurs apprennent que c’est pour un enterrement. Un commencement percutant qui annonce le début d’un scénario à la difficulté de vie flagrante.  

« Vieillir… C’est capituler devant la pénibilité des choses. Ou plutôt c’est l’accepter naturellement. Parce que l’on a vieilli, que l’on a plus la force… Mais moi… Je refuse de l’accepter sous prétexte de me faire vieux. Je ne capitulerai pas. »

Shim Doekchul, page 19-20
Extrait page 20. NAVILLERA © 2017 HUN, JIMMY & SUPERCOMIXSTUDIO Corp

Cependant, bien que l’histoire semble être morose, ce septuagénaire ne s’apitoie pas sur son sort. Alors que sa famille lui déconseille vivement et lui interdit même de faire du ballet, Deokchul n’en démord pas. Sa vie est presque finie et il ne veut pas avoir de regrets. 

Comme de nombreuses personnes âgées, il cherche ce à quoi il pourrait consacrer son temps. Il passe ses journées à la déchetterie pour aider, il nettoie dès qu’il en a l’occasion, … Cette vision monotone communique aux lecteurs la solitude de ces personnes qui sont obligées de s’occuper car ils ne voient pas leurs enfants ni leur petits-enfants pendant de longues périodes. L’un des fils de Deokchul, obstiné par l’idée que son père est trop vieux pour faire du sport, a même déclaré :  » je n’étais pas très à l’aise avec le fait qu’il travaille à la déchetterie pour tuer le temps ».

La vie de famille est très bien transposée dans ce webcomic. Les personnages sont bien représentés et des rivalités familiales sont discernables, surtout entre deux frères que tout oppose. On y découvre un quotidien asiatique et une façon de vivre qui reflète une réalité semblable à celle de l’Occident. Lorsque la famille se réunit, tous les membres sont heureux de se voir, mais dans la vie courante, chacun reste de son côté sans réellement prendre contact avec les autres.

Aux pages 46 et 59, la narration donne l’impression qu’être un homme et faire de la danse classique est humiliant et déshonorable. Pour la préservation de la réputation familiale, Deokchul devrait abandonner ces dernières envies mais sa détermination et sa fin de vie approchant, il décide toutefois que son apprentissage du ballet est plus important que n’importe quelle vision sociale. 

Extrait page 25. NAVILLERA © 2017 HUN, JIMMY & SUPERCOMIXSTUDIO Corp

Tout au long de ce premier tome, les seniors intiment aux jeunes de profiter de la vie, de prendre le temps de s’amuser. Suivant la guerre de Corée (25 juin 1950 – 27 juillet 1953), le projet de reconstitution du pays a remplacé la liberté de vivre des Coréens. Les citoyens ne voyaient plus que par le travail et l’amélioration de la nation, passant outre leurs désirs et parfois même leur santé. C’est pourquoi, maintenant que la Corée a été reconstruite, ils conseillent aux jeunes de se concentrer sur leurs rêves, d’être égoïstes. Après tout ce travail réalisé pour les générations futures, celles-ci doivent en profiter et non se concentrer sur l’argent et le travail. 

Sans surprise, les personnages sont  attachants. Le mélange entre jeunesse et vieillesse est émouvant ; cela met en lumière les différentes façons de voir le monde en fonction de l’âge. Même le plus jeune lecteur pourra s’identifier à Shim Deokchul avec son besoin de réaliser son rêve. À la page 232, le vieil homme énonce : « Trop précieux pour être dans mon estomac « . C’est un raisonnement que détiennent la plupart des personnes âgées. Allant prochainement mourir, ils ne se sentent plus légitime de manger quelque chose de coûteux ou de porter des vêtements de luxe. Pour eux, ce serait du gaspillage.

Les designs de fond par la dessinatrice Jimmy concordent parfaitement avec l’histoire aux allures nostalgiques de Hun. C’est en grande partie grâce aux couleurs claires qui rappellent les mises en scène de souvenirs au cinéma. Les personnes âgées sont superbement réalisées, les rides sont bien dessinées, et les muscles sont sculptés avec minutie. Une analyse du corps humain et de ses proportions a sûrement été réalisée. Même avec de l’âge et des collants, ce travail sur l’anatomie donne aux personnages un aspect viril et charismatique.  

Couverture Tome 2. NAVILLERA © 2017 HUN, JIMMY & SUPERCOMIXSTUDIO Corp.

La réalité des illustrations se ressent surtout au niveau de la ville : des restaurants, des marchands, des cafés, des bâtiments. Grâce à la finesse de leurs détails et à leur perspectives différentes, les lecteurs sont susceptibles de croire à une reproduction de paysage. On pourrait supposer qu’il y a eu plus de travail dans ces décors que dans les arrières plans des personnages, majoritairement unicolores, lorsqu’ils parlent. 

Navillera est une histoire de cinq tomes contant une rencontre et une amitié entre deux personnes que tout oppose, en particulier l’âge (70 et 23 ans). Ils se rapprochent par le ballet et par leur vie commune, se créant alors un lien atypique et pourtant naturel. 

C’est un webcomic qui réconforte les personnes âgées en leur montrant qu’il n’est jamais trop tard pour réaliser leurs rêves surtout s’ils s’en donnent les moyens. Il conforte aussi les jeunes dans l’idée qu’ils ne seront jamais seuls, qu’ils auront toujours quelqu’un pour les aider. 

En outre, ce n’est pas un livre édité pour faire évader les lecteurs mais plutôt pour les guider, les rassurer, et leur apprendre des choses sur la vie. C’est sans doute pour cela qu’il fait partie de la collection Kbooks Life. Il possède même un drama (série coréenne) de 12 épisodes que l’on retrouve sur la plateforme Netflix depuis 2021.


Navillera, like a butterfly
Hun
Illustré par Jimmy
Kbooks, 288 pages, 14,95€

2 commentaires

  1. Genevieve BOYER dit :

    Merci. J’ai adoré l’adaptation drama.
    Tant d’émotion…