Essais Une société en métamorphose

Les trois Corées

Dans ce projet éditorial courageux, Patrick Maurus n'hésite pas à avancer l’idée de l'existence de trois Corées, en présentant les enjeux géostratégiques de cette partie du monde.

Dernier né du courageux catalogue coréen des éditions Hémisphère et Maisonneuve & Larose Les trois Corées de Patrick Maurus paru il y a 4 ans vient d’être mis à jour en 2023. Présentant les enjeux géostratégiques de cette partie du monde, l’auteur avance dès la page 17 qu’une Corée est une affirmation idéologique, trois Corées est un artefact.  Mais comme souvent, l’inverse est tout aussi vrai. L’idée selon laquelle la Corée ne peut être qu’une et même Corée relève d’une rapidité de raisonnement que l’auteur, à raison, révoque. Rappelons que depuis sa naissance (-2333 si l’on veut), la Corée a passé presque autant de temps divisée qu’unifiée. La constitution de la nation coréenne, au moins jusqu’à 1945, fut un long chemin que l’instabilité chronique du pays retarda. Si la division remonte officiellement à 1945, elle pourrait être datée dès le premier quart du 20e siècle lorsque, en Corée, l’affrontement idéologique coupa le monde, et donc la Corée, en deux.

Projet courageux qui n’hésite pas, pour cause de démonstration, à avancer l’idée de l’existence de 3 Corées (mises au pluriel donc) le Nord, le Sud et la préfecture autonome de Yanbian (province du Jilin) en Chine. L’entreprise est osée, risquée même, mais ne manque pas d’intérêt, au moins dans la perspective de réfléchir sur la division et la réunification des deux Corée.  Entreprise volontaire de dé-concertation (Lyotard), histoire de ne pas prononcer le mot déconstruction mis à toutes les sauces contemporaines. L’exercice a le mérite de ne pas servir de l’eau tiède car l’entreprise est de taille. Il s’agit d’abord de lutter, (mission impossible ?) contre la flopée de slogans à charge sur la Corée du Nord, qui nous est servie, par paresse intellectuelle, par la presse ou des spécialistes non spécialistes de la Corée, renouvelant continûment le Dictionnaire des idées reçues, cher à Flaubert.  Pour ma part, n’ayant jamais mis les pieds en Corée du Nord, je m’interdis d’en parler, bien que l’expérience des anciens pays du bloc de l’Est puisse me servir. Faire valoir une position de principe quant au récit national qu’un pays tient sur lui-même, quel que soit le pays, n’est pas interdit.

La réunification suppose une volonté commune des deux Corées, mais cet objectif commun n’intègre pas une communauté de moyens pour y arriver. Affirmer que la réunification est légitime, semble aller de soi, mais on ne peut oublier les longues années de division, presque 1000 ans sur les 2000 ans du 20e siècle (la période dite du Silla unifiée n’étant pas vraiment un modèle d’unification). Une réunification qui aux yeux de bon nombre d’observateurs supposerait préalablement l’effondrement du Nord, accrédité en ce moment par la fermeture de quelques services consulaires, synonymes d’une-Corée-du-Nord-qui-va-mal-donc-qui-va-s‘effondrer-il-suffit-d’attendre. Penser qu’une économie affaiblie voire malade signifie un pays affaibli ou malade est à nouveau une réflexion pour le moins étrange. L’auteur avance à juste titre que l’économie du pays pourrait s’effondrer sans que pour autant le pays soit entraîné dans cette chute. Si évidemment, on a en tête le modèle ethnocentré de la Corée du Sud dopée par les K-industries culturelles, la Corée du Nord se porte moins bien mais n’a sans doute pas dit son dernier mot.  Bien évidemment, les deux pays ne sont pas à comparer. Quant à ceux qui attendent l’effondrement de la Corée du Nord, ils risquent de se retrouver dans la position du commandant Drago guettant l’ennemi qui ne viendra pas dans Le désert des Tartares.  

Il n’y a donc pas d’irréversibilité dans la division pas plus qu’il n’y a de réversibilité dans la réunification. Au Sud, la question de la réunification ne semble plus posée, tant du point de vue politique que dans la conscience publique, la division semblant avoir été définitivement actée. Plus les années passent plus l’écart se creuse, plus les modèles s’éloignent.

Très intéressante dernière partie du livre consacrée à Yanbian, et que l’on adhère ou non à la thèse des trois Corées, –à l’artefact donc–, l’ouvrage propose une mine d’informations inédites sur la région autonome, soutenue par une analyse qui n’hésite pas à convoquer pour sa démonstration autant les questions de géographie humaine, que de géographie spatiale, routes et moyens transport compris, frontières physiques et frontières identitaires, caractéristiques historiques et politiques de formation de la région. Mais quid du récit national ? Il manque peut-être la parole des habitants de cette région, eux-mêmes sur eux-mêmes, sur « leurs frères » ? Existe-t-il sur le terrain une conscience politique des trois Corées ? Si la formule rebute les habitants eux-mêmes, il semble aussi ne pas la condamner. Mais au-delà d’une partition thèse plausible/thèse invraisemblable, qu’en est-il réellement au fond ? Et cette question s’est-elle posée de la même façon au cours de l’histoire ? Le développement économique, chaque pays à son niveau, joue-t-il un rôle sur la formation d’une prise de conscience politique des questions à la fois ethnique, linguistique, culturelle des trois pays ? Et dernière question, la taille aussi bien géographique qu’humaine de Yanbian (2,5 fois plus petite que la Corée du Sud et 3 fois plus petite que la Corée du Nord) et ses 800 000 habitants environ justifie-t-elle le titre de pays ? Certes, Yanbian recouvre approximativement des zones autrefois occupées par le Goguryeo et le Balhe. Mais la sinisation forcenée de la région et les mouvements inverses de population de Yanbian vers la Corée notamment du Sud interrogent l’idée même d’une troisième Corée. On aurait aimé que l’auteur développe un peu plus l’influence de l’économie sur la formation et la conscience politique dans la région malgré l’annonce page 71 : « Il ne faut pas sous-estimer l’effet narcoleptique de la consommation et de la marchandisation ». Hormis ce manque, cet ouvrage fourmille d’informations sur les trois « pays » et propose une analyse géostratégique originale de cette partie de l’Asie orientale.


Les trois Corées
Patrick Maurus
Hémisphères, Maisonneuve & Larose, 2023
184 pages, 20€

1 commentaire

  1. tatiana mironov dit :

    Bonjour je suis tres interessee. Ou peux-t-on la commander? D’ autre part j’ aimerais inyroduire la culture du sijo en Roumanie. Mon amie professeur de litterature, directrice ecole ,critique , ecrivaine a cree un reseau national de professeur de littetature interesses par l’ art Extreme Orient. Depuis 25 ans ils participent au festial international haiku. ils sont pres aujourd’ hui a impliquer leurs eleves dans un festival d’ ecriture sijo. Sauriez vous ou nous pouvons nous adresser pour le monitoring des professeurs et inscription au festival de sijo en Coree? Quelles sont les structures qui soutiennent ce genre d’ action qui nous permettent d’ inviter egalement des musiciens compositeurs qui peuvent accompagner des sijo, des professeurs, poetes coreens pour des echanges poetiques et musicaux? Nous avons essaye l’ Ambassade de Coree, institut Sejong en Roumanie mais sans succes.

    Au plasir

    Cordialement

    Tatiana Mironov
    Actrice culturelle cooperation, art militant
    Iteam Relais Culture Europe
    0679895360
    Hopetrats@gmail.com