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« Wife », de (G)I-DLE : S’affranchir du rôle traditionnel de l’épouse

(G)I-DLE prouvent une nouvelle fois qu'elles sont en tête d'une révolution féminine dans la K-Pop, en s'attaquant cette fois-ci au rôle traditionnel de l'épouse coréenne avec leur chanson "Wife".

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"Nxde", I Love, 2023. Écrite et composée par Jeon Soyeon.

La K-Pop n’est plus unique synonyme de chansons mièvres et positives comme il eut été le cas au début des années 2000. À l’image de BTS, connus pour la portée sociale de leurs paroles, de nombreux groupes retrouvent le statut véritable de « musiciens » et s’impliquent dans la création artistique avec un message à défendre. C’est bien le cas du girlgroup (G)I-DLE, dont le catalogue musical contribue à briser l’image réductrice de l’idol féminine (à cet égard, vous pouvez retrouver notre article sur Jeon Soyeon dans Keulmadang n°6).

© Cube Entertainment

Leur nouvel album, [2], ne fait pas exception : tandis que « Super Lady », le title track de cet album, met une nouvelle fois en valeur leur indépendance vis-à-vis de la gente masculine ; la chanson « Wife », diffusée quelques jours avant la sortie officielle de l’album, n’hésite pas à remettre en cause le patriarcat. Écrit, composé et arrangé par Soyeon, leader du groupe, le morceau est une satire du rôle traditionnel de l’épouse coréenne. La chanson débute par un refrain en anglais qui cantonne l’épouse à un rôle précis :

I cook cream soup, taste is cocoloco
Want me your wife, but she is mmm, mmm, mmm
I clean your room, it’s so twinkle, twinkle
Want me your wife, but she is mmm, mmm, mmm

Sur un rythme musical entraînant, sont attribués à l’épouse la cuisine et le ménage. La simplicité presque enfantine des paroles n’est pas sans rappeler celles de « Queencard », ou bien « Nxde » : « Mon nom est Yeppi, Yeppi. Ma façon de parler est un peu bête, mais mon corps est sexy, sexy. ». Les paroles jouent pleinement du cliché de la femme un peu stupide mais de physique agréable, et ont une résonnance particulière dans un pays comme la Corée du Sud qui accorde une importance démesurée à l’apparence.

La suite de la chanson continue en ce sens :

자기야, 한입 크게 맛봐
배가 부르대도 뱉으면 나빠

Chéri, ouvre grand et goûte
Même si tu es rempli, ce n’est pas bien de cracher

그래, 그럴 줄 알고 케이크 좀 구웠어
그게 다가 아냐, 위에 체리도 따먹어줘

Voilà, je savais que tu serais comme ça, alors j’ai préparé un gâteau
Ce n’est pas tout, mange la cerise sur le dessus aussi

Le vocabulaire utilisé renvoie initialement l’image d’une femme faisant la cuisine pour son mari, mais il n’est pas difficile d’y voir une interprétation différente si c’est le mari qui s’adresse à sa femme. Ce choix n’est pas aléatoire, l’intégralité du texte joue sur cette double lecture. Par exemple, le verbe 따먹다 traduit ici par « manger » est aussi une expression familière pour désigner la relation charnelle. Les paroles ne se veulent pas inutilement provocatrices mais au contraire illustrent les attentes antinomiques envers la femme : l’homme attend d’elle qu’elle paraisse sage en public mais puisse satisfaire ses désirs en privé.

Bien que les « affaires intérieures » incombent à la femme, l’homme a une part à remplir dans ce contrat tacite entre les époux, comme il est explicité dans le deuxième couplet :

만약 잘한다면, 멋진 노래도 부르고
물 만난 인어처럼 예쁜 춤도 춰줄 거야
만약에 잘한다면, 나도 배도 부르고
기분 좋으니까, 깊숙이 더 삼켜버릴 거야

Si tu te débrouilles bien, je chanterai une chanson cool
Je danserai telle une jolie sirène dans l’eau
Si tu te débrouilles bien, moi aussi je serai remplie
Et de bonne humeur, j’avalerai plus, profondément

À l’instar du reste des paroles, la lecture peut être double et continue d’évoquer la relation charnelle. Bien que le devoir conjugal soit ici réciproque, les conditions entre les époux ne sont pas équivalentes pour autant : l’homme a juste à « bien se débrouiller », mais la femme multiplie les services rendus.

Au-delà des paroles, la performance et le choix des costumes sont tout aussi révélateurs de la portée sociale de la chanson. Les cinq membres sont affublées de la même tenue blanche ainsi que de la même coupe au carré bleue – ou bien une alternative salopette verte et perruque blanche –, symbolisant la perte d’identité individuelle de l’épouse. Le rôle de la femme ne permet pas d’existence par soi, mais seulement au service du mari. Autre point intéressant : tout au long de la performance, aucune ne chante. Les cinq jeunes femmes se contentent de danser, illustrant le fait de se taire face au mari. Seul le dernier couplet est chanté, un choix stratégique en regardant les paroles :

Wife, I make you feel so high
I make you feel like lie

L’adjectif « high » peut être considéré de deux façons : au sens de sentiment d’euphorie causé par un plaisir intense ou une substance, ou au sens de hauteur. Dans les deux cas, le mari est placé en position de supériorité : il est du devoir de la femme de mettre son désir au-dessus du reste.

Mais la seconde phrase remet immédiatement en question la légitimité du mari. Le mot « lie » suggère que le statut de grandeur de l’époux n’est qu’un mensonge, toutes les attentions de l’épouse ne sont destinées qu’à le complaire dans une fausse identité, une supériorité injustifiée. L’épouse est réduite à flatter l’égo masculin quoi qu’il arrive. Cet argument est appuyé par la chorégraphie : les larges mouvements de bras tendus rappellent ceux d’une marionnette, manipulée par des fils.

© Cube Entertainment

Mais la chanson se conclut sur un fier « But I don’t wanna » (« Mais je ne veux pas ») chanté par les cinq membres : un refus de ce rôle enfermant clamé haut et fort. Une déclaration d’autant plus parlante dans la société actuelle : le taux de natalité de la Corée est au plus bas, et une majorité de jeunes femmes se désintéressent du mariage. Ce rejet témoigne de la difficulté d’être une femme en Corée, une thématique encore inaccoutumée dans la K-Pop mais largement explorée dans la littérature : La Végétarienne (2016) de Han Kang, Parce que je déteste la Corée (2017) de Chang Kang-myoung, ou Kim Jiyoung, née en 1982 (2020) de Cho Nam-joo, pour n’en citer que quelques-uns.

Avec la sortie de leur nouvel album, [2], (G)I-DLE continuent de s’affranchir des conventions imposées aux femmes dans l’industrie de la K-pop, comme elles ont pu le faire avec leurs précédents titres « Tomboy » et « Nxde ».


« Wife », [2]
(G)I-DLE
Cube Entertainment

A propos

Doctorante en littérature coréenne, j'ai découvert la Corée par la musique et le cinéma en 2010, et l'amour que j'ai pour ce pays n'a fait que s'étendre au fil des années. En termes de littérature, ma préférence va aux polars, drames et autres récits complexes. Ma recherche se focalise sur des thématiques sombres, très présentes dans la littérature contemporaine : mal-être, psychopathologie et mélancolie ; mais cela ne m'empêche pas d'apprécier les histoires plus joyeuses de temps à autre.

4 commentaires

  1. Linda dit :

    Cet article est tellement bien écrit ! Continuez comme ça c’est très intéressant !

    1. Laurie Galli dit :

      Je vous remercie ! 🙂