Chroniques Romans Une société en métamorphose

Si j’avais ton visage

Dans une Corée du Sud aux critères de beauté inatteignables et à la hiérarchie sociale immuable, cinq jeunes femmes essayent de se faire leur place.

Chaebol
Riches familles à la tête des plus grosses entreprises sud-coréennes.
Taux de natalité
Le taux de natalité coréen ne cesse de chuter depuis plusieurs années. Il était de 0.78 enfant par femme en 2022.
Officetel
Bâtiment composé de petits appartements et de bureaux

La Corée du Sud attire de plus en plus et son soft-power n’y est pas pour rien. Afin de rayonner dans le monde, le pays peut s’appuyer sur l’engouement général pour la K-pop et les K-dramas, dont la cible marketing est principalement les adolescentes et les jeunes femmes. Ces dernières sont bercées par une image idyllique, mais quelle est la réalité de leurs homologues coréennes ? Vivent-elles une vie de rêve ?

Dans un officetel de Séoul vit Ara, une coiffeuse devenue muette suite à un accident. Tandis qu’elle travaille sans relâche la semaine, elle consacre son peu de temps libre à Taein, un membre d’un groupe de K-pop. Sa colocataire, Sujin, est une fervente admiratrice de leur voisine de pallier, Kyuri, dont la plastique de rêve est le résultat de nombreuses chirurgies esthétiques. Dotée d’une vision plutôt pessimiste de la vie, cette dernière travaille dans un bar à hôtesses et partage son appartement avec Miho, une jeune artiste entretenant une relation avec un fils de chaebol. À l’étage du dessous habitent Wonna et son mari, un couple aux revenus précaires. Alors qu’elle est de nouveau enceinte après quatre fausses couches, Wonna vit dans l’angoisse de perdre son bébé tout en essayant de dissimuler sa grossesse au travail.

Ne vous laissez pas avoir par sa couverture rose et fleurie : Si j’avais ton visage est loin d’être un conte de fées. Au contraire, ce roman est le reflet d’une société sud-coréenne obnubilée par les apparences où la concurrence est féroce. À l’instar de Kim Jiyoung, née en 1982 de Cho Nam-joo, l’auteure s’attaque aux nombreuses difficultés auxquelles doivent faire face les femmes sud-coréennes, en alternant les points de vue d’Ara, Kyuri, Miho et Wonna.

Dès la lecture du titre, on comprend que la plus grande critique est dirigée contre les critères de beauté. Kyuri et Sujin l’ont bien compris : pour être considérées dans la société, elles vont devoir tout faire pour essayer de se rapprocher de la perfection, quitte à dépenser des sommes colossales dans la chirurgie esthétique et à souffrir de complications post-opératoires. 

« Malgré ses millions d’habitants, la Corée n’est pas plus grande qu’un bocal à poissons, et il y a toujours quelqu’un en train de mépriser quelqu’un d’autre. […] Ils vous localisent sur l’échelle sociale nationale, et vous recrachent l’instant suivant. » (p. 86-87) 

Frances Cha rend également compte du système hiérarchique sud-coréen quasi immuable : la position sociale est déterminée par les parents et l’éducation reçue. Chacun doit être à sa place et les personnes comme Miho ne sont pas les bienvenues. En effet, sa relation avec Hanbin lui donne accès à un milieu où elle ne devrait pas être, bousculant ainsi l’ordre préétabli.

Et cette hiérarchie n’est pas que sociétale, elle existe également au sein de la famille. Avec un taux de natalité parmi les plus bas au monde, les Sud-Coréennes subissent la pression permanente de faire un bon mariage et d’avoir un enfant. Mais Wonna est consciente que la plus grande source de stress pourrait en réalité venir des belles-mères oppressantes… 

L’auteure n’en reste pas là et aborde bien d’autres thèmes comme celui de la grossesse en tant que salariée, le fait d’être orphelin, le système de dettes dans les bars à hôtesses, l’accès à l’alcool… Néanmoins, on ne se sent pas submergé par le négatif car le roman porte un message de sororité et d’entraide, et surprend même quand certains personnages agissent à l’encontre de ce que l’on pourrait attendre d’elles, rendant la lecture rafraîchissante. On aurait peut-être même apprécié avoir une cinquantaine de pages de plus, quelques questions restant en suspens et la multiplicité des thèmes ne permettant pas toujours d’aller en profondeur.

Si j’avais ton visage traite de thèmes importants sur la condition des femmes en Corée du Sud. Bien qu’un peu moins percutant que Kim Ji-young, née en 1982, il offre un excellent premier aperçu du sujet pour celles et ceux qui s’y intéressent. Toutefois, le roman pourra plaire à un public plus connaisseur : les personnages sont attachants et il est très satisfaisant de les voir s’affirmer. 


Si j’avais ton visage
Frances Cha
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claire Allouch
Éditions Hauteville, 336 pages, 19,95€ (grand format), 8,95€ (poche)

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