Chroniques Memoria Romans

L’ombre des armes

"Cela fait maintenant plus de 60 ans que la guerre de Corée s’est terminée, mais nous ne sommes toujours pas en mesure de comprendre ce conflit." Cette réédition du roman de Hwang Sok-yong revient sur les conflits qui ont déchiré l'Asie du Sud-Est au XXe siècle.

Cet immense roman publié en Corée en 1985, publié en France par Zulma en 2003, sort en version poche. Voici ce que nous en disait Hwang Sok-yong en 2017.

« Je suis né en 1943 à Changchun en Mandchourie, qui était à l’époque sous occupation japonaise. Les pouvoirs fascistes s’affaiblissaient de plus en plus face aux manœuvres stratégiques menées conjointement par les socialistes et les capitalistes. Aux quatre coins du monde, les peuples s’étaient tournés vers des systèmes d’administration directe et les tenants de l’impérialisme montraient déjà les signes d’une chute prochaine. Pourtant, tous ces pays restèrent longtemps enchaînés, du moins militairement, à l’économie et à la politique de leurs anciens États souverains.

En Corée, ce sont les Américains qui ont pris le rôle auparavant joué par les Japonais. Comme ce fut le cas dans de nombreux pays d’Amérique latine et d’Asie, la vie à l’époque se limitait souvent à la révolution, la Guerre Froide, la dictature militaire, la pauvreté, la guerre civile ou l’oppression. Lorsque la Corée a été libérée de l’impérialisme japonais, ma famille vivait dans le nord du pays, à Pyongyang. Ce n’est que lorsque l’administration politique favorable à la division entre le Nord et le Sud est arrivée au pouvoir que mon père a obtenu un travail. Nous sommes donc partis vers le sud. Je venais d’entrer à l’école primaire lorsque la guerre de Corée a éclaté. L’ombre de la guerre froide européenne avait finalement atteint l’Asie.

L’administration du Sud, basée sur une idéologie anti-communiste et pro-américaine, s’est rapidement changée en dictature militaire dans un pays en crise. Le premier signe de résistance à cette dictature est apparu du côté des étudiants qui ont organisé une révolution le 19 avril 1960. J’ai moi-même pris part à cette manifestation. Je faisais partie de la première génération à avoir grandi face à l’horreur du spectacle donné par un homme qui en massacre un autre, que les parents ne pouvaient indéfiniment cacher à leurs enfants. Nous avons été les premiers à nous sentir déjà prêts à affronter le système en face à face, même si nous sortions à peine de l’adolescence. On nous appelle « la génération du 19 avril » ou parfois « la génération coréenne », en référence au fait que nous avons été les premiers à avoir été éduqués dans notre langue maternelle suite à la libération de l’impérialisme japonais. Nous avons aussi été les premiers à avoir grandi avec l’objectif de mettre en place une société démocratique et de venir à bout de cette division Nord-Sud imposée par la guerre froide. Ces combats font partie intégrante de notre identité.

Lorsque j’étais étudiant à l’université, j’ai participé à la lutte contre le régime militaire, notamment par rapport à la question du traité nippo-sud-coréen de 1965. Lorsque j’ai fait mon service militaire obligatoire, on m’a envoyé combattre sur le front au Vietnam. Existait-il une véritable différence entre la génération de mes parents, où les hommes étaient réquisitionnés par l’armée japonaise pour tenter de dominer l’Asie par la force, et la mienne, où nous étions envoyés au Vietnam pour aider les Américains à réaliser leur rêve d’une Pax-Americana qui s’étendrait dans toute l’Asie du Sud-Est ? Nous l’ignorions.

Lorsque je suis revenu du Vietnam après mon service, j’ai fait mon retour dans la sphère littéraire coréenne et j’ai du y affronter les effets de la dictature militaire. J’ai travaillé dans des usines et dans des communautés rurales, m’impliquant activement dans les mouvements populaires qui naissaient un peu partout dans le pays. C’est ainsi que j’ai participé au Mouvement pour la Démocratie de Gwangju en 1980. Cet incident a été rapidement suivi par d’autres manifestations dans de nombreux autres pays comme les Philippines, Taïwan, la Thaïlande, la Birmanie ou l’Indonésie. Ce qui s’est passé en Europe dans les années 60 a eu lieu en Asie dans les années 80.

Suite au Mouvement pour la Démocratie de Gwangju, je me suis rendu au Festival des Cultures du Monde de Berlin. C’est alors que j’ai commencé à penser sérieusement à l’idée de créer une organisation culturelle pour les Coréens de l’étranger, et que j’ai visité l’Allemagne, les États Unis et le Japon. J’y ai rencontré un certain nombre de Coréens en exil politique. J’ai également eu l’opportunité de me rendre en Corée du Nord. Ce voyage a eu pour conséquences de me faire connaître l’exil et l’emprisonnement.

Cela fait maintenant plus de 60 ans que la guerre de Corée s’est terminée mais même après deux sommets Nord-Sud, nous ne sommes toujours pas en mesure de comprendre ce conflit. Nous sommes toujours divisés et nous ne vivons pas en paix, seulement en trêve… »


L’Ombre des armes
Hwang Sok-yong
Zulma, 2024
800 pages, 12,50€

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.