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Interview de Jean-Claude de Crescenzo, fondateur de Keulmadang

Pour fêter les 15 ans de la revue, nous mettons à l’honneur l’équipe actuelle de Keulmadang. Nous débutons cette semaine avec une interview du fondateur de Keulmadang et des éditions Decrescenzo, Jean-Claude de Crescenzo. Les entretiens ont tous été menés par Aurélia Morano, étudiante dans le domaine des lettres et de l’édition.


Keulmadang est loin d’être votre premier projet en lien avec la Corée puisqu’en 2003 déjà vous avez fondé les études coréennes à la faculté d’Aix-Marseille mais êtes aussi à l’origine de la création de l’école de médecine coréenne d’Aix-en-Provence en 2001. Qu’est-ce qui vous a poussé à lancer cette web-revue spécialisée sur la littérature coréenne et est-ce que la promotion de cet aspect de la culture coréenne s’est révélée être une évidence dans la continuité de vos projets passés ?

La réponse peut se faire en deux temps, tout d’abord j’étais et je suis toujours président de l’association pour la coopération France-Corée qui permet de partager des activités de loisir et découvrir un pan de chaque culture. En bons littéraires, nous étions quelques-uns à nous demander ce que nous pourrions faire en faveur de la littérature coréenne qui constitue notre secteur de recherche au sein de l’université à ma femme, Kim Hye-gyeong, cofondatrice de la revue, et moi-même.

Un soir de juin 2009, avec trois amies, nous discutons de cette perspective et l’idée de créer une revue dédiée à la littérature coréenne est acceptée à l’unanimité et dans l’enthousiasme ! La recherche d’un titre s’impose et Kim Hye-gyeong trouve très naturellement Keulmadang, que l’on peut traduire par, « agora du texte ». Sa sonorité, nous a plu sur le champ et fut adopté. Cette web-revue a créé une dynamique, un pont entre notre travail de recherche à l’université en matière de traduction, de réception des auteurs coréens et le travail dans une revue consacrée uniquement à la littérature coréenne.

C’est grâce à votre travail en duo que Keulmadang a pu voir le jour. Comment vous êtes-vous réparti les tâches, notamment pour la publication ? Est-ce important d’avoir été ensemble pour mener ce projet à bien ?

Nous avons pas été les seuls à travailler dès le début. Sans le noyau d’amis, sans le travail de Julien Boyer, webmestre pour créer la revue sur internet, Keulmadang n’existerait pas. Évidemment, vivre et travailler avec sa compagne de tous les jours, coréenne de surcroît, facilite et améliore la connaissance culturelle du pays et facilite le travail quotidien. Au fil du temps, il se trouve qu’une dynamique de complémentarité a émergé, Kim Hye-gyeong est linguiste, je suis plutôt spécialisé dans la civilisation et la littérature, donc lorsque l’on travaille en commun sur la traduction, elle se charge de la primo-traduction et je travaille à remanier le texte en français, même si je me sers aussi du texte coréen. L’enjeu est aussi que nos cultures respectives, même si elles ont tendance à se mixer, restent des cultures différentes qui s’enrichissent. Notre travail se fait donc en totale harmonie et collaboration, car nous avons le même tempérament. Nous prenons les décisions ensemble, quels que soient les sujets.

Au vu de l’état du paysage littéraire français en 2009 et du manque de représentation des auteurs coréens, quels furent les principaux défis rencontrés lors des premières étapes de création de la web-revue ?

Le premier défi consistait à trouver un fond suffisant de livres coréens pour en parler. Or, au lancement de Keulmadang, il n’y avait qu’une dizaine d’ouvrages traduits avec l’aide de l’académie de traduction coréenne, le KLTI. Parmi les principaux éditeurs de littérature coréenne, deux d’entre eux ont ralenti considérablement leur production à cette époque, jusqu’à parfois s’arrêter de publier de tels textes. Comment travailler quand la matière première manque ? Nous avons comblé le déficit de livres en multipliant les interviews, les portraits d’auteur, les études. La solution nous est apparue deux à trois ans après, avec la création de la maison d’édition Decrescenzo, spécialisée dans la littérature coréenne.  Mais revenons à Keulmadang : à cette période, comme nous n’étions pas connus, nous ne recevions pas automatiquement les services de presse. Il fallait donc les solliciter auprès des quatre ou cinq éditeurs concernés, à l’époque essentiellement Actes Sud, Zulma, Picquier et L’Atelier des Cahiers…. Fort heureusement, nous avons pu profiter du travail de l’académie de traduction qui a contribué à augmenter le nombre de traductions coréennes en France.

Est-ce que la promotion de la revue a été compliquée ou s’est faite naturellement au lancement ?

Ni l’un ni l’autre. tout d’abord, j’ai eu la chance de rencontrer un ami avec lequel je pratiquais les arts martiaux, Julien Boyer qui s’est enthousiasmé pour le projet et a créé gratuitement la revue sur Internet. Pour les quelques dépenses, nous les avons payées de notre poche. Mais sans Julien, sans notre amitié, la revue n’existerait pas. Quinze ans après, il est toujours là pour nous donner un coup de main. La page des 15 ans que vous pouvez consulter en cliquant sur un lien , c’est encore de sa main qu’elle existe.

La publicité par contre s’est faite grâce au bouche-à-oreille, et au noyau des coréanophiles aixois, amoureux ou très intéressés par la Corée; ils ont été les premiers à nous aider en venant voir ce qu’était la web-revue, et en la conseillant autour d’eux. De la sorte, Keulmadang a pu se faire connaître lentement, en deux, trois ans selon les statistiques fournies par le serveur. Nous comptions trente mille lecteurs à l’année, dans soixante-cinq pays, même si parfois dans un pays, nous n’avions qu’un seul contact ! Aujourd’hui notre lectorat se situe surtout en France, dans les pays francophones et en Corée.

Si dans un premier temps l’objectif de la revue selon vos mots était de présenter une littérature départie de toute actualité et de toute mode, aujourd’hui la course au lectorat et à la conquête de nouveaux publics fait rage par le biais de nouveaux médias. Comment qualifieriez-vous l’évolution de la web-revue depuis ses débuts ?

Deux données cohabitent. La première, c’est l’âge des membres de l’équipe rédactionnelle, tous issus d’un groupe d’amis de la même génération, dont la moyenne d’âge avoisinait les cinquante ans et plus et qui correspond plus ou moins à l’âge du lectorat. Naturellement, nous nous sommes concentrés sur la littérature que cette génération apprécie particulièrement. Au fur et à mesure des membres plus jeunes, nos étudiants à l’université particulièrement, sont rentrés dans l’équipe, équipe éphémère puisqu’elle se renouvelait à chaque promotion universitaire. Nous continuons de combiner l’expérience et la jeunesse dans l’équipe. Au fil du temps, la production littéraire de Corée a changé. Des générations d’auteurs ont été remplacés par d’autres plus jeunes. Évolution naturelle. Ainsi la romance, le polar et de nouveaux thèmes d’écriture sont apparus en même temps que se renouvelait l’équipe de rédacteurs de la revue. Entre l’apport de nouveaux thèmes par le biais de la traduction venu de Corée et le renouvellement de l’équipe qui s’est fait harmonieusement, il n’y a pas eu de rupture brutale.

Comment s’est mise en place la collaboration avec vos premiers chroniqueurs, est-ce eux qui ont fait la démarche de vous contacter pour travailler avec vous ou est-ce l’inverse ? De quelle manière vous organisez-vous pour publier vos chroniques hebdomadaires ?

Lorsque j’étais dans l’amphi de l’université, je faisais toujours une présentation succincte de mes sujets de recherche, de la web-revue, et j’en profitais pour faire un appel à tous les étudiants mordus de littérature à qui je conseillais vivement de franchir le pas et d’écrire sur les livres qu’ils lisaient. Et donc chaque année, on avait une dizaine d’étudiants sur 200, en fonction des promotions, qui venaient me voir en fin de cours pour participer. Dit comme cela, le chiffre paraît dérisoire, mais en réalité, cela constitue une belle équipe de collaborateurs avec les anciens. Nous sommes toujours en relation aujourd’hui, Thomas, Diey, Lucie… Nous avons mis en place des réunions entre les heures de cours pour discuter de la production littéraire coréenne, et de travailler sur la rédaction des chroniques. C’est loin d’être un exercice facile, car parler d’un livre dans le cadre académique pour un travail noté est une chose, parler d’un livre autour d’un café à ses amis en est une autre, et parler d’un livre pour pousser à la découverte des milliers de lecteurs est encore autre chose. Je me souviens très bien de chroniques traitant de culture ou de littérature qui étaient lues par environ quatre mille lecteurs, d’après les statistiques web. Les meilleurs travaux étudiants qui portaient sur la sociologie, l’histoire, l’art, la littérature de la Corée étaient publiés dans la web-revue Keulmadang sous le format d’un mini-dossier. Ils étaient très prisés des autres étudiants qui y trouvaient une source d’inspiration pour les sujets de leur propre mémoire par exemple.

Ce qui fait l’essence aussi de votre revue ce sont les multiples relations et partenariats entretenus avec les auteurs, car Keulmadang c’est aussi et surtout une aventure humaine dépassant les frontières. Pouvez-vous à ce titre nous partager une anecdote marquante ou des moments-clés qui ont façonné l’histoire de la revue ?

Les premières rencontres avec les écrivains coréens ont eu lieu à Aix-en-Provence lors de la fête du livre « L’Asie tout un roman », avec le KLTI (Korean Litterature Translation Institute) et les Études coréennes de l’Université qui s’associaient à la web-revue pour retranscrire les forums organisés à la Cité du Livre, en collaboration avec l’association « Écritures croisées » maitre d’oeuvre de cette fête du livre. Ce sont les premiers partenariats que nous avons fondés. par la suite, le KLTI nous a demandé d’organiser d’autres forums, qui ont gagné en popularité d’année en année jusqu’à être considérés comme l’un des plus importants rassemblements dans le monde pour les auteurs coréens qui ont fait le déplacement la dernière année. Ces forums se sont interrompus à cause du Covid et de la baisse des crédits en Corée.

Mais tous ces auteurs, environ une quarantaine, sont venus échanger à Aix-en-Provence accompagnés de journalistes, des présidents et membres du Korean Institute. Ces relations nous ont permis de forger un réseau amical que nous conservons toujours, y compris avec des écrivains que l’on ne traduit pas. Inévitablement, en échangeant avec eux, nous partagions beaucoup de choses, que ce soit l’amour de la cuisine et du bon vin, ou de la littérature ; le plus souvent en Corée, on dîne toujours ensemble, on voyage ensemble. L’idée de travailler en partenariat est une idée à laquelle je suis très attaché car en travaillant en commun, on profite de plus d’idées, de plus de ressources, et plus d’actions deviennent possibles.  Au cours de cette période, nous avons beaucoup traduit avec Kim Hye-gyeong, nous avons créé la maison d’édition en 2011, ce qui a engendré un mouvement relativement opérant puisque la ville d’Aix regroupait la maison d’édition, les études coréennes, la web-revue. De plus, nous étions partie prenante grâce à Kim Hye-gyeong, présidente de l’École coréenne, et moi-même qui enseignais à l’École de manupuncrure coréenne… Nous avions et nous avons toujours un dispositif très dense et inédit, à Aix-en-Provence, ce qui nous vaut à Séoul le surnom de « Petite Corée ». Tout ceci a créé une dynamique de rencontres, d’amitiés pérennes qui se poursuivent lors de nos déplacements à Séoul, ou quand les Coréens viennent en France.

Traversons le globe et intéressons nous maintenant aux répercussions de la web-revue en Corée sur la scène littéraire. Est-ce que cela a pu créer une accélération en matière de traduction coréenne française et en matière de cession de droits ?  

Pour lire la revue, il faut maîtriser le français ou alors avoir recours à la traduction automatique, ce qui n’est pas toujours évident. Keulmadang est la seule revue sur la culture coréenne qui paraît régulièrement, mise à jour toutes les semaines, au bout de quinze ans d’activité. Cet exploit est possible grâce au travail conjoint de nos deux rédactrices en chef, Faustine Thivet et Laurie Galli et à l’équipe de rédacteurs, véronique en tête, la plus ancienne de l’équipe, Jeanne, Mary-Sarah, Tania, Concernant l’image de la web-revue, ce que nous savons, c’est que la place que nous avons occupée à Aix-en-Provence concernant la littérature coréenne, a séduit par notre enthousiasme et notre constance.

Si on se replonge dans l’histoire de l’édition coréenne en France, on remarque des phases précises lors desquelles des générations d’auteurs émergent pour ensuite tomber dans l’oubli à cause de faibles ventes. Aujourd’hui, il y a à l’inverse, une véritable explosion des best-sellers et de l’engouement pour la publication d’auteurs coréens en vogue. Chez Keulmadang, nous avons à cœur de conserver une authenticité en publiant des auteurs divers, dans des registres différents, pour constituer un panel de textes le plus varié possible afin de permettre au lecteur un large choix. Cela a forcément participé à renvoyer une bonne image en Corée, toujours soucieuse d’exporter sa culture et sa littérature.

Il y a de bons succès de librairie, mais pas autant que ce que l’on croit. Lorsque l’on combine les ventes de livres de poche et de grands formats brochés, on arrive à trente mille exemplaires. Je parle spécifiquement ici de la littérature romanesque : ça ne concerne pas le domaine du webtoon, qui est à part. Le nombre de titres publiés croît, maintenant on reçoit des services de presse systématiques de la part des éditeurs, et naturellement le coût de la cession des droits augmente aussi. Cependant, malgré l’enthousiasme général et pour nuancer mon propos, je précise que la littérature coréenne du point de vue des traductions, est très loin du marché japonais qui représente 11% des traductions étrangères. La Corée se situe entre 0,3 et 0,5 % seulement. En comparaison les traductions anglaises majoritaires représentent 56 à 60 % des traductions. La ferveur du public reste limitée.

Est-ce que le lancement en 2014 du premier numéro de la revue Keulmadang présente en librairie est apparu à vos yeux comme nécessaire pour approfondir le travail de la web-revue éponyme ? Quelles nouvelles possibilités ont été offertes par le format physique ?

Tout d’abord, il est bon de préciser que la revue papier n’est pas une adaptation de la web-revue, puisque les textes de la première ne figurent pas dans la seconde. C’est une revue qui tient un discours différent. Pour la diffusion, le web est irremplaçable, mais en matière de notoriété, c’est la librairie qui l’assure. La diffusion et la vie des revues en France pourraient mieux se porter, mais elles ne bénéficient pas du même engouement, du même rayonnement qu’en Corée par exemple. Toutefois, les lecteurs qui ne sont pas friand d’Internet et qui écument les librairies à la recherche de littérature coréenne ont à leur disposition une revue qui dépasse les contraintes et limites du web. En effet, on sait que via l’écran, que ce soit d’ordinateur ou de smartphone, le scroll n’est pas infini, ce qui oblige à raccourcir la longueur des articles et des chroniques, la perte d’attention étant liée au principe même de défilement. L’écriture des chroniqueurs est donc conditionnée par le format, et il ne paraîtrait pas fluide ou naturel de lire un livre de 500 pages sur ordinateur à cause de la fatigue visuelle, physique et de la position assise. Le  contenu de la revue papier est plus étoffé, soutenu, et s’écarte des normes liées à la chronique web. La coexistence Keulmadang papier et web a été assez bien maîtrisée, même si le choix de garder le même titre a pu troubler le lecteur. Mais il s’agit d’une crainte personnelle, non partagée par mes collègues. Je pense quand même que cela crée une dynamique très forte, un pont entre les articles sur les sorties littéraires et la revue annuelle, qui propose des textes longs, des interviews d’auteurs. Les deux publications coexistent donc harmonieusement.

Au travers de vos nombreuses interviews sur le sujet, la poésie coréenne vous tient particulièrement à cœur mais reste malheureusement assez anecdotique parmi le paysage éditorial français. Cela traduit-il un vrai désamour occidental pour ce genre littéraire ? Quel poète coréen non traduit en français souhaiteriez-vous voir mis à l’honneur en librairie ?

Effectivement, la poésie est un secteur éditorial très particulier qui bénéficie d’un public très fidèle mais restreint, avec de petits tirages, qui même pour les poètes français les plus connus, demeurent anecdotiques. La Corée est à l’opposé de ce constat avec des recueils tels que Nulle fleur n’éclot sans trembler de Do Jong-Hwan, que nous avons publié récemment, vendu à 100 000 exemplaires.

On voit donc émerger de véritables best-sellers parce que le lectorat est demandeur. Le secteur et le marché sont donc extrêmement dynamiques là-bas. En France, il y a notamment deux maisons d’édition qui publient régulièrement de la poésie coréenne : Bruno Doucey et Circé, et nous chroniquons tous leurs ouvrages.

Nous sommes face à des œuvres qui prennent plus de liberté que le roman. Pourtant, dans ce monde où la vie sereine est de plus en plus difficile, la poésie constitue selon moi une approche pour une autre voie de la pensée, un autre chemin possible. Et même si je me suis mis tardivement à la traduction de poésie, je me passionne pour le sujet. L’année prochaine, c’est le poète Kim Ki-taek qui sera publié. Dans Keulmadang, avec le partenariat avec l’Association des poètes de France et son partenariat avec l’Association des poètes coréens, nous essayons de présenter chaque semaine un poète coréen. À l’université Marseille, nous avons fait venir l’an dernier 33 poètes dans la même journée. Une journée inoubliable.

Quel conseil donneriez-vous à un jeune lecteur qui s’intéresserait à la littérature asiatique et qui appréhenderait pour la première fois la littérature coréenne ?

Mon premier conseil serait de ne pas se gâter les yeux avec la mauvaise littérature. Ça vaut pour toutes les littératures du monde. Et pour cela, s’informer. Même sans formation préalable, l’important est de voir ce qui fait un bon auteur, un style qui vous emporte, une intrigue persistant après avoir terminé le livre, des questionnements laissés en suspens, des réflexions qui bousculent votre perception… Pour ma part, je lis ou je relis surtout les auteurs des années 70 à 90, Hwang Sok-yong, Lee Seung-u, Eun Hee-kyung, Yi Inseong, Han Kang (Decrescenzo Éditeurs à publié son premier roman en France, Pars, le vent se lève), Gong Ji-young… Mais c’est une génération d’auteurs relative à mon âge… J’ai écrit deux ouvrages sur la littérature coréenne, l’un sur un auteur en particulier, Lee Seung-u, et l’autre plus général, sur la diversité de cette littérature, et cela peut aussi être une source d’inspiration pour découvrir des textes nouveaux.

Quels ont été les retours que vous avez pu recevoir de la part du lectorat ou des libraires concernant la web-revue ainsi que la revue ?

J’espère que la revue a aidé à changer quelque chose, que je ne perçois pas toujours, mais on ne fait pas une revue dans le seul but de se faire plaisir, même si ça a son importance dans le processus de mise en place d’une revue. Je crois que Keulmadang en librairie a une bonne image auprès des libraires, même si les ventes ne sont pas exceptionnelles, car c’est le sort commun des revues françaises. Mais si la diffusion des revues se fait plus difficilement dans les lieux consacrés, on sait que le retour en particulier sur les réseaux sociaux me fait dire que la web-revue est plutôt bien perçue. Le fait qu’elle soit en libre accès sur internet, la lecture des articles étant gratuite depuis quinze ans joue aussi. Quant aux exemplaires vendus sur table des libraires, les prix défient aussi toute concurrence, puisque chaque numéro contenant 150 pages de texte est disponible pour 10/12 euros seulement.

En matière de littérature est-ce que vous pensez qu’il faudrait changer la manière de la promouvoir à l’international ? Car on observe souvent en librairie des tables dédiées à la littérature asiatique avec majoritairement de la littérature japonaise et un peu de littérature coréenne et chinoise. On a donc une forme de hiérarchie qui s’est établie.

Si on se penche sur l’histoire, il y a une dizaine d’années, il était systématique que le rayon soit baptisé « Littérature asiatique », et la littérature coréenne était rangée aux côtés de la littérature japonaise sous ce titre. À l’heure actuelle, c’est toujours le cas, même si cela a un peu évolué, mais souvent la place fait défaut au libraire pour promouvoir les littératures de chaque pays, ce qui amène inexorablement au regroupement sous certaines étiquettes comme « littératures asiatiques » ou « littératures hispanophones ». Le fait de regrouper le Japon, la Chine ou la Corée sous la mention « littérature asiatique » n’est pas un problème pour moi tant qu’il n’y a pas assimilation de la littérature coréenne à la littérature japonaise. Mais je pense que ce n’est plus le cas aujourd’hui. Dans un certain nombre de librairies, qui profitent d’un espace suffisant, les littératures sont présentées sous leur propre étiquette. Depuis plusieurs années, on voit moins de grands auteurs pour la littérature chinoise, ce qui laisse le champ libre à la Corée. Celle-ci a décollé récemment pour conquérir le marché et prendre la seconde position derrière le Japon. L’emplacement sur table ou dans les rayons risque donc de changer petit à petit, malgré ce souci constant de la surface disponible.

Il existe également des librairies spécialisées, comme le Phénix à Paris, qui possède un fond coréen monumental, et organise souvent des conférences pour susciter le débat autour des questions littéraires.

Le marché de la librairie reste un marché difficile, et en province la conjoncture économique n’est pas forcément favorable. Mettre en place une librairie spécialisée dans les villes de petites envergure comme Aix me semble un objectif difficile à réaliser.

Concernant un point plus précis sur la littérature en Corée, quel est le rapport de la population au livre ? On a tous vu les immenses librairies à Séoul notamment et de nombreux événements autour des librairies éphémères : les pop-up. Ça donne l’impression d’avoir de nombreux endroits consacrés à la littérature en particulier à l’extérieur ce qui est moins répandu chez nous…

Je ne connais pas du tout le secteur et le marché du webtoon, mais il me semble qu’en France, il n’a pas répondu aux attentes escomptées des éditeurs, le marché est plus difficile à conquérir qu’il n’y paraît. En Corée, il existe encore un public, qui va des personnes âgées aux jeunes adultes, qui affectionne toujours autant la littérature, guette les sorties, les débats littéraires, les conférences, qui aime aussi la poésie. Mais je ne serais pas surpris d’apprendre que les jeunes Coréens ne lisent plus beaucoup de livres papier, le phénomène se répand à travers le monde et concerne la nouvelle génération qui lit toujours, mais différemment et sur de nouveaux supports.

J’ai constaté au fil des années la disparition du livre dans le quotidien, en Corée comme en France. Dans le métro, le livre tend à s’effacer au profit du smartphone, il est courant de nos jours de prendre une rame sans croiser un seul lecteur de livre. Mais pour observer la quantité de gens qui lisent réellement sur leur téléphone tous les jours, il faudrait réaliser une étude poussée, difficilement réalisable. Le marché du livre en Corée jusqu’à maintenant se portait correctement, mais il est en léger recul en ce moment, et n’est donc pas à l’abri de l’érosion de la lecture.

Y a-t-il un message que vous aimeriez transmettre à ceux qui découvrent Keulmandang pour la première fois ?

Revenez régulièrement parce que ça change toutes les semaines ! Vous pouvez satisfaire à la fois votre goût de l’éphémère avec la web-revue et votre goût pour la réflexion avec la revue papier.

Propos recueillis par Aurélia Morano, étudiante en Master Monde du Livre

A propos

Après des études de lettres modernes, je me suis orientée vers un master dans le domaine éditorial. J'ai découvert la littérature asiatique au lycée avec les mangas, webtoons, k-dramas, k-pop et j-pop. Je m'intéresse particulièrement aux littératures de l'imaginaire, les thrillers et les tranches de vie. Au vu de mon intérêt grandissant pour la culture coréenne, j'aimerais partir au contact de la population en favorisant une démarche éco-responsable.

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