Alors que l’hiver s’installe en épaisses couches gelées, trois femmes arpentent les vestiges de leur mémoire, entre mensonges familiaux et racines coupées. Dans ce premier roman, Marion Gary nous fait voyager entre la France, la Corée et le Canada pour conter ces trois récits qui se fondent en une expérience universelle, celle de la perte.
Le roman est une alternance de trois points de vue. Il y a Byeol, fille d’un artiste réputé et père distant. Une ancienne sportive dont le rêve s’est éteint avec sa blessure. Derrière ses difficultés à concevoir un enfant, son mariage bat de l’aile. Une rumeur d’infidélité la pousse à retourner dans la demeure de son enfance pour se confronter au spectre de sa mère malade et aux traces de la liaison de son père avec « madame K ».
Puis vient Émilie, fille d’un père français aimant et d’une mère coréenne absente. Au décès de ce père qui ne partage en réalité pas son sang, elle devient une étrangère dans la famille qui l’a élevée. Physiquement trop asiatique au milieu des visages de porcelaine bien européens, elle se questionne sur son identité. Par désir d’appartenance, elle va jusqu’à forcer une connexion avec une moitié d’elle qu’elle n’a jamais connue et avale des cuillères de gochujang à s’en rendre malade : « Je déglutis malgré la douleur. Mes yeux pleurent, je suis à deux doigts d’étouffer. Je finirai par devenir coréenne, même si je dois en crever. » (p. 112).
Enfin, les lettres de Dongbaek viennent compléter cette narration croisée. Adoptée au Canada dans une famille coréenne, remplaçante d’un fantôme, elle a été contrainte d’enfiler la vie d’une autre comme on enfile un manteau. Elle écrit après des années de silence à sa fille, Émilie. Elle évoque son enfance, sa relation avec sa « seconde mère », son mariage, son retour au pays, ainsi que le renoncement à son rôle de mère : « Submergée par l’angoisse de ne pas être à la hauteur, je perpétue le schéma familial, je t’abandonne, toi, mon enfant. » (p. 102).
Malgré les parcours différents de ces trois femmes à des milliers de kilomètres les unes des autres, une souffrance similaire émane de leurs récits. Chacune est en proie à un tiraillement identitaire, qu’il passe par la question de l’adoption, du deuil, de la maternité, ou de la barrière langagière.
Roman de la perte, De quel nuage tombe la pluie est paradoxalement empli de douceur. Marion Gary déverse sur papier autant de poésie que de vulnérabilité.
De quel nuage tombe la pluie
Marion Gary
Decrescenzo Éditeurs, 2024
194 pages, 17,90€
Alors que l’hiver s’installe en épaisses couches gelées, trois femmes arpentent les vestiges de leur mémoire, entre mensonges familiaux et racines coupées. Dans ce premier roman, Marion Gary nous fait voyager entre la France, la Corée et le Canada pour conter ces trois récits qui se fondent en une expérience universelle, celle de la perte.
Le roman est une alternance de trois points de vue. Il y a Byeol, fille d’un artiste réputé et père distant. Une ancienne sportive dont le rêve s’est éteint avec sa blessure. Derrière ses difficultés à concevoir un enfant, son mariage bat de l’aile. Une rumeur d’infidélité la pousse à retourner dans la demeure de son enfance pour se confronter au spectre de sa mère malade et aux traces de la liaison de son père avec « madame K ».
Puis vient Émilie, fille d’un père français aimant et d’une mère coréenne absente. Au décès de ce père qui ne partage en réalité pas son sang, elle devient une étrangère dans la famille qui l’a élevée. Physiquement trop asiatique au milieu des visages de porcelaine bien européens, elle se questionne sur son identité. Par désir d’appartenance, elle va jusqu’à forcer une connexion avec une moitié d’elle qu’elle n’a jamais connue et avale des cuillères de gochujang à s’en rendre malade : « Je déglutis malgré la douleur. Mes yeux pleurent, je suis à deux doigts d’étouffer. Je finirai par devenir coréenne, même si je dois en crever. » (p. 112).
Enfin, les lettres de Dongbaek viennent compléter cette narration croisée. Adoptée au Canada dans une famille coréenne, remplaçante d’un fantôme, elle a été contrainte d’enfiler la vie d’une autre comme on enfile un manteau. Elle écrit après des années de silence à sa fille, Émilie. Elle évoque son enfance, sa relation avec sa « seconde mère », son mariage, son retour au pays, ainsi que le renoncement à son rôle de mère : « Submergée par l’angoisse de ne pas être à la hauteur, je perpétue le schéma familial, je t’abandonne, toi, mon enfant. » (p. 102).
Malgré les parcours différents de ces trois femmes à des milliers de kilomètres les unes des autres, une souffrance similaire émane de leurs récits. Chacune est en proie à un tiraillement identitaire, qu’il passe par la question de l’adoption, du deuil, de la maternité, ou de la barrière langagière.
Roman de la perte, De quel nuage tombe la pluie est paradoxalement empli de douceur. Marion Gary déverse sur papier autant de poésie que de vulnérabilité.
De quel nuage tombe la pluie
Marion Gary
Decrescenzo Éditeurs, 2024
194 pages, 17,90€