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Entretien avec Marion Gary

À l'occasion de la publication de son premier roman, Marion Gary se confie sur son processus d'écriture, son amour pour la Corée, et les souvenirs de son père.

Félicitations pour la publication de votre premier roman. J’ai cru par ailleurs comprendre qu’il vous était très personnel, un hommage à votre père. Quel souvenir gardez-vous de lui ?

Mon père était un homme très sociable et souriant, il discutait avec tout le monde sans distinction. Des projets plein la tête, des fourmis dans les jambes, il ne tenait pas en place. Un homme d’extérieur. Dans sa jeunesse, il a été pisteur secouriste, passionné de ski, d’escalade, de randonnées et de haute montagne. Il m’emmenait parfois dormir dans un refuge, ramasser des myrtilles, faire des raquettes dans la neige. Il avait aussi un côté rêveur. Petite, il me construisait des cabanes en bois, des moulins à eau, des cerfs-volants. Son humour de papa, me faisait tantôt rire et tantôt un peu honte. Je garde le souvenir de ses grands bras qui m’enveloppaient entièrement. Un endroit où je me sentais en sécurité. À l’âge adulte, une fois par mois, nous passions un moment juste tous les deux. À la découverte de la ville, d’un musée, d’un restaurant, d’une forêt. Je me sentais privilégiée. Des moments précieux que je garderai toujours avec moi.

Dans votre roman, une partie de l’intrigue se déroule en Corée et au Canada. Quels liens entretenez-vous avec ces pays ?

Pour être tout à fait honnête, je n’entretiens pas vraiment de relation avec le Canada. Durant l’écriture, j’ai découvert que de nombreux Coréens ont migré vers ce pays à partir des années 50. C’était intéressant de montrer une autre facette de l’histoire coréenne ainsi que les difficultés à s’intégrer à une nouvelle culture tout en conservant ses propres traditions. Il m’a fallu faire des recherches approfondies sur le Québec, sa langue, ses spécificités. C’était enrichissant. J’ai découvert un pays merveilleux que j’espère pouvoir visiter un jour.

Depuis 2007, je ressens envers la Corée une profonde affection. Cela a été une merveilleuse rencontre, qui est devenue une véritable passion. La richesse de ses traditions, ses excentricités, son histoire, ses habitants, sa musique, ses dramas, sa nourriture. Tout m’intéresse, j’ai envie de faire plus ample connaissance. Le début d’une grande histoire d’amour.

Comment est née l’idée de ce roman, et quel a été le processus de création jusqu’à la publication ?

C’est une question difficile. Aux prémices, mon roman parlait d’un marchand de thé amoureux d’une Coréenne qui lui confie son enfant. Et puis mon père est mort. Tout a changé. Mon écriture, mes émotions, le message que j’avais besoin de partager. J’ai conservé le personnage d’Émilie qui s’interroge sur ses origines coréennes. Son histoire et mon histoire ont fusionné. Pour Byeol, les choses se sont faites naturellement. Il y avait une connexion, un appel entre ces deux femmes. J’ai eu plus de mal à cerner Dongbaek. Nous avons eu, elle et moi, bien des difficultés à nous comprendre. Après l’envoi de mon manuscrit, j’ai eu un retour inattendu de la part des Éditions Decrescenzo. Malgré un certain potentiel, mon texte demandait de grandes modifications. La construction n’était pas claire, mes phrases trop longues, les adjectifs trop nombreux, les voix pas assez différenciées, la douleur un peu trop présente. Ils m’ont proposé de m’aider à le retravailler. Mais ce n’était pas encore tout à fait ça. J’ai pris quelques mois pour faire le point, suivre les conseils qu’ils m’avaient donnés. Ce livre n’était pas pour moi seule, mais pour des lecteurs, je devais en tenir compte. Après bien des larmes, j’ai fait une nouvelle proposition qui a été acceptée. Un miracle. Une fois le contrat signé, un autre travail de réécriture a pu commencer, plus calme, en confiance. Chaque voix a trouvé sa place. Même si le processus a été particulièrement difficile, je suis heureuse du résultat.

Les trois personnages-clés de ce roman souffrent de déracinement, qu’il soit familial, ethnique, langagier, ou géographique. Byeol est confrontée à l’infidélité de son père, Émilie se sent étrangère dans sa propre famille après le décès de son père, et Dongbaek a vécu toute sa vie dans les chaussures d’une autre. Chacune peine à trouver ce qui la définit réellement. Au final, qu’est-ce qui fait l’identité d’une personne, selon vous ?

Je ne suis pas certaine d’avoir une réponse à cette question philosophique. Je crois que la recherche identitaire est propre à chaque individu. Je pourrais me décrire comme étant une femme, française, issue de la classe moyenne, aux cheveux châtains. Toutes ces choses définissent d’une certaine manière mon identité. Néanmoins, mon histoire personnelle, ma mémoire, ma façon de réagir aux événements, mes émotions, mon comportement, me semblent faire davantage partie de mon individualité que des caractéristiques extérieures ou héréditaires. Mon identité, c’est ce que je suis aujourd’hui. Et qui sait, je serai peut-être une personne différente demain.

À la fin du roman, on ne peut qu’espérer silencieusement qu’Émilie et Dongbaek se retrouvent. Avez-vous imaginé leurs retrouvailles ? Ce qu’Émilie aimerait répondre aux lettres de sa mère ?

Pour tout vous dire, il existe une fin alternative. Dans la toute première version de mon roman, nous retrouvions les trois personnages six mois plus tard. Je ne vous en livrerai pas le contenu, cela n’aurait rien d’amusant. Seule ma petite maman connaît le dénouement. En tant que première lectrice, elle bénéficie de certains avantages et elle adore les fins détaillées. Si vous voulez en savoir plus, il va falloir lui demander.

Que peut-on attendre de vos futures œuvres ? Avez-vous envie d’explorer d’autres contrées que la Corée et le Canada ?

Pour l’instant, je pense que la Corée restera au cœur de mon écriture. Il y a tant de sujets intéressants sur lesquels écrire, tant d’aspects intrinsèques à cette culture dont j’ai envie de parler, tant de paysages poétiques à décrire, tant de souffrance aussi à partager. Mes découvertes m’amènent vers cet ailleurs, pas si différent de nous.

Un mot pour les lecteurs de Keulmadang qui vous découvrent ?

Merci d’avoir pris le temps de lire cette interview. Et n’oubliez pas, même si l’on ne sait pas de quel nuage tombe la pluie, un parapluie jaune nous attend quelque part.


Nous remercions Marion Gary pour ses réponses et sa douceur. N’oubliez pas de lire notre chronique de De quel nuage tombe la pluie.

A propos

Doctorante en littérature coréenne, j'ai découvert la Corée par la musique et le cinéma en 2010, et l'amour que j'ai pour ce pays n'a fait que s'étendre au fil des années. En termes de littérature, ma préférence va aux polars, drames et autres récits complexes. Ma recherche se focalise sur des thématiques sombres, très présentes dans la littérature contemporaine : mal-être, psychopathologie et mélancolie ; mais cela ne m'empêche pas d'apprécier les histoires plus joyeuses de temps à autre.