La Fabrique du Livre Styles & Cie

Mémoires d’un écrivain

Une mine d’or, voilà comment se présente Le Prisonnier, le dernier livre de Hwang Sok-yong.

Une mine d’or, voilà comment se présente Le Prisonnier, de Hwang Sok-yong, l’un des auteurs coréens les plus traduits en France. Ecrites à la manière d’un roman, ces mémoires couvrent plus de cinquante années de vie politique, sociale, géopolitique et littéraire de la Corée du Sud. Le titre, dû au séjour que fit en prison l’auteur en 1989, pour s’être rendu sans autorisation en Corée du Nord, rencontrer des écrivains nord-coréens. Ce pays frère d’où il est originaire marque par son existence le drame coréen, la division, que Hwang Sok-yong, considère aussi comme une limite à l’exercice de son art. La Corée du Sud, alors plongée dans la dictature depuis 1961, a institué une loi dite de Sécurité nationale qui permet au gouvernement d’interdire et de réprimer à peu près tout ce qu’il veut, et notamment les activistes pour la démocratie, dont fait partie l’écrivain. Hwang en profitera pour rencontrer le leader de la Corée du nord, Kim Il-sung dont les entretiens avec l’écrivain sont rapportés dans le livre. Avec ce séjour en Corée du Nord, Hwang Sok-yong sait qu’il sera condamné à son retour à Séoul. Il choisit alors l’exil, à Berlin, puis à New York. Lorsqu’il revient en Corée en 1993, il est condamné à sept ans de prison pour avoir eu des contacts non autorisés avec la Corée du Nord. Dès lors, un mouvement, dont on devine la difficulté à exister et à agir, s’organise en faveur de sa libération. Intellectuels, écrivains, journalistes, étudiants se mobilisent pour que Hwang puisse être libéré ou, en attendant, qu’il reçoive un traitement de prisonnier plus humain. L’auteur multiplie les revendications auprès du directeur de la prison, les grèves de la faim, introduit des livres que lui envoient ses éditeurs, prend la défense de prisonniers, tente de poursuivre son œuvre littéraire… On a de la peine à imaginer ce que pouvait être le monde carcéral coréen de l’époque. Pour avoir visité la prison de Seodaemun, à Séoul, la taille des cellules donne à elle seule une vision cauchemardesque de l’emprisonnement. Je me souviens d’une soirée passée en compagnie de Hwang Sok-yong, comme bien souvent riche d’anecdotes, truffée d’histoires vivantes, surtout l’histoire de gens dont on ne parle jamais ou si rarement. Soirée animée, de biens différentes façons. Puis rentrant à la maison, tard dans la nuit, la télévision diffusait un documentaire sur la libération de Hwang en 1998 et ses amis venus à sa rencontre. Le télescopage entre la joyeuse soirée vécue quelques minutes auparavant et le reportage de cette année 2010 (je crois me souvenir), était bouleversant, comme chaque fois que le passé rencontre le présent dans un lieu et de temps unis. Dans l’ouvrage, l’incarcération de l’auteur couvre l’ensemble du livre en six chapitres répartis, entrecoupés de chapitres consacrés à des événements, des anecdotes et des confessions de l’auteur, dont le caractère intime ne cesse de surprendre. Hwang ne cache rien de sa vie privée, de ses chagrins, de ses erreurs. Vérité, parfois jusqu’à l’impudeur. Mais ainsi est Hwang, une force vive, une énergie qu’il ne dissimule pas. Il suffit de quelques heures passées à ses côtés pour s’en rendre compte et ne jamais oublier. Pendant son exil, il rencontre de multiples personnalités, dont l’écrivain suisse Dürrenmatt ou encore son compatriote musicien Yun Isang et c’est l’occasion de discussions intellectuelles passionnées mais aussi et surtout de discussions politiques. Hwang ne séparera jamais les deux, non qu’il les croit indissociables mais parce qu’elles relèvent de son histoire personnelle. La Corée vit sous la dictature depuis 1961. Toutes les tentatives populaires de desserrer l’étreinte ont échoué parfois dans un bain de sang (Gwangju, 1981). Finalement, la dictature pliera et les premières élections libres auront lieu en 1993. Mais il faudra encore quelques années, en 1998, pour que Hwang Sok-yong soit libéré, après cinq années, au lieu de sept,  d’une détention qui donnent parfois un frisson de dégoût au lecteur, tant les conditions y étaient dures.

Le livre fourmille de détails, dans lesquels parfois on se perd un peu, mais ces mémoires sont si vivaces, si émouvantes (en particulier, l’arrivée de Hwang en Corée du Nord d’où sa famille est originaire, ou encore son retour de la guerre du Vietnam dans laquelle La Corée s’était engagée aux côtés des Usa), ses rencontres politiques et littéraires restituent une période de l’histoire des deux Corée. Le regard que porte l’auteur sur la Corée du Nord est à la fois sentimental, on peut le comprendre, mais aussi lucide sur le régime nord-coréen, et sur la littérature du pays. C’est à la façon du journal intime que l’on découvre Le Prisonnier, livre capital pour qui veut comprendre  les enjeux politiques  qui vont des années 60 aux années présentes, particulièrement la vie des groupes d’activistes si souvent masquée. Il contribue à l’histoire politique et littéraire de la Corée mais aussi de l’Europe (je me souviens de la déchéance de nationalité de Wolf Biermann, ce chanteur est-allemand passé à l’ouest et interdit de retour en RDA). Ce gros livre, de près de 800 pages, pour lequel il faut saluer l’appareil de notes (près de 30 pages) bien utile pour comprendre certains détails ou cerner des personnages moins connus, comble bien des lacunes de l’histoire vivante de la Corée. Dans votre bibliothèque, vous pourrez le ranger indifféremment dans le rayon roman ou dans le rayon histoire de la Corée.  Il touche au but que Hwang Sok-yong s’était fixé pendant sa rédaction : rendre compte personnellement.


LE PRISONNIER
HWANG SOK-YONG
Traduit du coréen par CHOI Mikyung et Jean-Noël JUTTET
Editions Picquier, 679 pages, 26€