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Bonobo

Une rencontre imprévue dans une situation déroutante entre deux âmes en souffrance, c'est le cadre qu'a choisi Jeong You-jeong dans ce roman rempli de délicatesse et de profondeur.

Méta-vision
La méta-vision (on parle aussi de « position-méta » en PNL) c’est une posture mentale qui permet de pratiquer une sorte de dissociation de nous-même, afin d’être à la fois l’acteur et l’observateur de la scène.

Jin-yi est soigneuse au Centre d’Etudes Universitaires des Primates non loin de Séoul. Elle est à l’aise avec ces animaux, patiente et attentionnée, elle arrive à comprendre leurs besoins, leurs émotions ou leurs craintes, chez elle c’est presque un don. Tout le monde s’en félicite au sein de l’équipe du zoo universitaire, particulièrement son directeur d’études. Pourtant, elle est à la veille du départ, elle a décidé de démissionner.

Cette décision de changer carrément de secteur professionnel, elle l’a prise suite à un événement qui l’a marquée, il y a de cela plusieurs années, mais dont elle souffre encore de façon très régulière. Parfois, un sentiment d’impuissance la submerge, des remords aussi. Alors pour ne pas souffrir davantage de ces sentiments destructeurs, elle a décidé de changer de vie. Car elle aime la vie et considère que même lorsque celle-ci est dure, il faut se battre et vivre pleinement sa vie ! C’est l’enseignement principal que lui a transmis sa mère et elle veut le suivre.

Or, la veille de son départ pour les États-Unis, un primate s’échappe d’une résidence luxueuse située non loin du Centre d’Etudes Universitaires des Primates et son directeur la sollicite pour assurer avec lui cette délicate mission de sauvetage. L’animal est réfugié à la cime d’un arbre et il est probablement terrorisé suite au feu qui a ravagé la résidence. Tout le monde ignore également l’état psychologique de l’animal (qui s’avèrera être un Bonobo) ni les conditions dans lesquelles il était détenu dans cette luxueuse propriété appartenant à une famille richissime. Jin-yi accepte la mission à contrecœur, par respect pour son professeur et par passion (ou compassion) pour les primates, alors même qu’elle doit quitter le pays dans quelques heures.

Minju, lui est un garçon plutôt taciturne et un peu poltron, il ne trouve pas sa place dans la société, ni dans sa famille. Il a également la trentaine, mais il doute beaucoup de ses capacités et bien qu’ayant fait des études, il ne trouve pas de travail, n’a pas d’objectifs, aucune ambition particulière, et se laisse un peu vivre. Jusqu’au jour où son père lui demande de quitter le foyer familial, afin qu’il ne soit plus une charge financière pour lui.

Contraint de partir il emporte pour tout bagage un vieux et gros sac à dos — seul cadeau que lui fait son père au moment du départ ! Commence alors pour lui une errance, douloureuse tant physiquement (car il ne mange pas à sa faim tous les jours) que psychologiquement. Une souffrance qui le ronge jusqu’à avoir des pensées suicidaires. Il se sent totalement inutile dans cette société coréenne si exigeante.

Sur les conseils d’un vieux monsieur qui pratique la médecine orientale pour venir en aide aux plus démunis, Minju se rend dans la montagne et va jusqu’au Centre d’Etudes Universitaires des Primates. Il n’a plus de logement, plus d’argent, plus d’envie.

Ce zoo universitaire pourrait bien lui servir de refuge pour la nuit. Malheureusement et bien qu’ayant tout fait pour rester discret en attendant tranquillement la fermeture du Centre, il se fait repérer par une soigneuse qui lui demande de bien vouloir rejoindre la sortie. Ne sachant où aller une fois dehors, il trouve un kiosque un peu à l’écart de la route sinueuse qui mène au Centre d’Etudes. Comme un orage menace, il décide de rester pour la nuit dans cet endroit isolé et interdit d’accès. Sa rencontre avec Jin-yi est alors imminente…

La suite du livre est un régal ! Il s’agit d’un livre très bien écrit (et traduit) qui se lit presque d’une seule traite, tant on se laisse happer par leur aventure, leur quête pourrait-on dire. On peut conseiller de s’abstenir de lire le résumé avant d’attaquer la lecture de l’ouvrage : le suspense n’en sera que meilleur !

Ce livre de JEONG You-jeong met en exergue le courage que chacun peut trouver en soi dans certaines circonstances ou encore la compassion dont chacun peut être capable et qui nous pousse parfois à agir malgré les risques. Bien que la vie des deux personnages principaux ne soit pas facile, ce livre n’est pas triste mais plutôt plein de rebondissements.

Au-delà de la cause animale, clairement défendue par l’auteure, de nombreux sujets très profonds et intéressants sont abordés : nos choix de vie, l’action et la non-action (avec leurs conséquences), la réincarnation (l’histoire se déroule en Corée où le bouddhisme reste bien présent), la méta-vision, le mal-être des jeunes, et le paradoxe entre ceux qui luttent sans relâche, avec ténacité, pour vivre (ou survivre) et ceux qui sont éteints, « au bout » et envisagent le suicide comme seule alternative. Un mal qui ronge la Corée actuelle.

Pourtant, parfois, une petite étincelle, peut raviver la flamme et redonner l’envie !

Ce livre relate aussi une belle rencontre entre deux personnes qui ont peu de choses en commun, si ce n’est un parcours de vie assez difficile. Elles ignorent tout l’une de l’autre, n’expriment pas leurs souffrances et pourtant se comprennent, s’apprivoisent, se reconnaissent et entrent en connexion. Leurs cœurs et leurs esprits vibrants au final à l’unisson. Une belle histoire d’amitié.

Le livre aborde également en filigrane des thèmes délicats, comme le rôle des aidants, l’accompagnement des personnes en fin de vie, etc. Mais rappelons-le, ce n’est pas un livre triste et on le lit au travers d’un prisme un peu particulier… qui nous tient bien en haleine ! Nous n’en dirons pas plus.

Enfin, on apprend également des choses très intéressantes sur l’attitude des femelles Bonobo dans certaines circonstances. Elles ont finalement des comportements très proches des nôtres ! Un super livre assurément, qui vaut de se laisser tenter.


Bonobo
JEONG You-jeong
Traduit par LIM Yeong-hee et Mathilde COLO
Éditions Picquier, 400 pages, 22€

Pratiquante d’arts martiaux, passionnée par la Corée, Danielle TARTARUGA écrit dans des revues spécialisées sur les arts martiaux, ainsi que dans la revue Culture Coréenne. Elle est « Best Honorary Reporter » pour Korea.net, la plate-forme d’information officielle du KOCIS (Service de la Culture et de l’Information de la République de Corée).

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