Why do you live ? 

Que faire lorsqu’une génération entière se pose cette question sans trouver de réponse ? Vivre pour s’acharner au travail jusqu’à sa mort. Vivre pour s’assurer que le monde continue de tourner. Vivre sans marquer l’histoire, en étant oublié dès que l’on meurt. Est-ce que cela vaut vraiment le coup ? Dans son roman Génération B (표백), Chang Kang-myoung s’adresse à une jeunesse qui ne trouve pas sa place dans ce monde et qui se demande sans cesse : « Pourquoi vit-on ? »

Dans une université peu réputée, un groupe d’étudiants se sent tout aussi perdu que le reste de leur génération, jusqu’à ce que Seyeon, la tête du groupe, en vienne à la conclusion que ce qui leur manque, c’est un combat qui rallierait tous les étudiants et leur donnerait l’envie de se battre pour changer le monde. « Dans les années quatre-vingt, les étudiants ont tenu une place considérable dans la vie politique du pays […]. Et nous, aujourd’hui, que représentons-nous ? Rien du tout. » (p.30) Toutes les générations précédentes ont été marquées par des manifestations estudiantines contre un tyran, ou une dictature, mais pas celle d’aujourd’hui. 

Le monde est devenu trop lisse, trop contrôlé. On pousse chaque individu dans un système parfaitement huilé où le rôle de chacun doit lui être attribué au plus vite. Coincés dans ces institutions, les nouveaux étudiants qui ont encore des rêves plein la tête commencent à réaliser que ces derniers sont irréalisables et ils se désespèrent peu à peu. « Une vie accessoire pour une mort d’esclave. » (p.126) Afin de montrer sa désapprobation face à ce monde, Seyeon monte un plan dans lequel elle entraîne ses amis, pour faire passer son message de façon spectaculaire : la Déclaration de Suicide. Elle utilise la mort pour se faire entendre et plutôt que de donner à sa génération une raison de vivre, elle lui donne une raison de mourir. En choisissant une façon radicale pour s’exprimer, Seyeon essaye de démontrer que la société qui ne laisse plus aucun choix à l’homme, le déshumanise au point qu’il en perd tout intérêt pour la vie. 

Elle use de différents arguments pour rallier les étudiants de Corée et du reste du monde à sa cause, en utilisant internet pour augmenter l’ampleur du mouvement. Mais en réalité, Seyeon déploie toutes ces idées autant pour se convaincre elle-même que les autres. Car assez vite, elle est prise de doutes.

Obsédée par l’envie de trouver un exploit à accomplir, quelque chose qui la rendrait immortelle aux yeux du monde, Seyeon a construit tout un personnage autour de sa propre personnalité. Elle rêvait depuis longtemps de commettre un acte qui marquerait les esprits, et lorsque l’idée de la Déclaration de Suicide lui est venue, elle n’a pas réfléchi à deux fois avant de se lancer dans le projet. C’était idéal ; elle allait faire passer un message, et sa mort serait l’apothéose de sa vie, ainsi que le grand lancement de son plan. Elle ne serait jamais oubliée. « C’est au lycée, en classe de seconde, qu’elle a compris qu’elle n’était pas comme les autres, et depuis, elle rêvait de se suicider. » (p.75)

Pour ce faire, elle dut remodeler la personne qu’elle était, comme si elle portait constamment un masque pour mieux manipuler les autres. Elle est devenue à la fois actrice et metteuse en scène de toute cette pièce. Chaque protagoniste lui obéissait au doigt et à l’œil. « […] plus nous réfléchissions à ce ruban de Möbius, plus Seyeon occupait notre esprit, et nous avions l’impression d’être les marionnettes d’un spectacle préparé par une morte. » (p.83) 

Mais à force de jouer la comédie, Seyeon s’est perdue de vue elle-même. Emportée par l’adrénaline, elle ne s’était jamais remise en question, mais une fois sur le point de mettre son plan à exécution, alors qu’elle ne pouvait plus reculer, Seyeon s’est mise à douter. Et si son plan ne fonctionnait pas ? Et si tout cela n’avait rien d’exceptionnel ? Et si elle s’était trompée ?

L’un des messages principaux que Chang Kang-myoung adresse à la jeunesse est qu’elle doit essayer de trouver le rôle qu’elle veut jouer dans la société. Mais c’est en cherchant ce rôle parfait avec acharnement, que Seyeon s’est perdue. À peine sortie de l’adolescence, elle sentait déjà que l’entièreté de sa vie se jouerait en quelques années, et que si elle voulait vivre sans regret, en ayant accompli quelque chose de remarquable, elle devait trouver un but rapidement. Peut-être que si on lui avait laissé plus de temps, tout se serait passé différemment.

Dès le plus jeune âge, on demande aux enfants ce qu’ils veulent faire une fois grands. Très rapidement, ils sont forcés de prendre des décisions sur les études qu’ils veulent faire, qui détermineront leur métier futur. Dans certains pays, comme les États-Unis et la Corée du Sud, les études supérieures coûtent très cher. Il n’est donc pas question de se tromper et de s’y reprendre à plusieurs fois pour trouver sa voie. Le fait de savoir qu’il est une source de dettes et un poids financier pour ses parents, angoisse forcément l’enfant qui se sent responsable et coupable s’il ne trouve pas rapidement son rôle. « J’étais toujours angoissé, comme si j’étais poursuivi. » (p.97)

Avec toute la pression qui pèse sur les épaules des jeunes de Corée, il n’est pas étonnant que le taux de suicide ne fasse qu’augmenter. Les troubles psychologiques tels que l’anxiété et la dépression étant encore très tabou en Corée, il est d’autant plus difficile de faire changer les choses. C’est en partie ce que dénonce Chang Kang-myoung dans ce roman où il évoque de façon subtile les différents travers de la société coréenne actuelle. En quelques pages seulement, de nombreux sujets sont abordés et une seule lecture ne suffit pas pour détecter tous les messages qui se cachent entre les lignes. Mais on peut sentir dès le début du roman, que celui-ci ne laissera pas indifférent. Chang Kang-myoung signe ici une œuvre qui marque les esprits !


GÉNÉRATION B
CHANG KANG-MYOUNG
Traduit du coréen par HWANG Ji-hae et Véronique CAVALLASCA
Decrescenzo, 300 pages, 21 €.

A propos

Étudiante en traduction littéraire coréenne et en édition à l'Université Aix-Marseille. Co-éditrice en chef adjointe de Keulmadang. Je me spécialise depuis plusieurs années dans l'étude de la littérature coréenne, et notamment de la science-fiction.