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La saison des pluies

Somptueuse nature que celle qui naît sous la plume lyrique de l'artiste Keum Suk Gendry-Kim, et tendres portraits de ses chiens, dans ce magnifique nouveau roman graphique.

©Futuropolis 2022
© Futuropolis, 2022

Keum Suk Gendry-Kim nous avait accoutumé.es à une œuvre tournée vers l’introspection historique, le lien entre vie privée et histoire coréenne, mais nous retrouvons ici avec grand plaisir le style graphique particulièrement émouvant de cette artiste dans un récit ancré dans la vie contemporaine, qui s’inspire de cette récente passion en Corée du sud pour les compagnons animaux, chats et chiens, comme celle de Park Yoon-sun, autrice de l’inénarrable série Le Club des Chats.

Toujours inspirée par la propre vie de l’autrice, cette histoire attachante évoque le dilemme social en Corée entre les amoureux des chiens, de plus en plus nombreux à apprécier leur compagnie et à adapter leur vie à leurs nouveaux compagnons, et une croyance traditionnelle dans les vertus de la viande de chien, qui en autorise le commerce, et donc la boucherie, voire le trafic… Sans compter le nombre d’animaux attachés dans la cour été comme hiver, ou comme Choco, enfermée dans une cage sans autre contact qu’une gamelle de temps à autre. Une opposition bien présente encore, entre la considération utilitaire de l’animal, fréquente dans les campagnes en général, et l’acception contemporaine de compagnie, de lien affectif entre l’homme et l’animal.

Pour la chienne abandonnée dans sa cage, les planches de l’artiste centrées sur des gros plans de regards, de fourrure ensauvagée, de prostration muette, évoquent la figure du séquestré dans le film de Park Chan-wook, Old Boy. Le dessin accumule les traits, précisant le moindre détail, le moindre éclat dans le regard de l’animal malheureux, et le motif quadrillé de la cage grillagée, envahit le fond, son ombre mouvante se détache sur la parka de Hoon, qui va voir la chienne tous les jours, par -20°. Le tableau de la nature est à l’image de cette désolation, les branches noires et nues des arbres se détachent sur la neige et l’ombre lointaine des montagnes environnantes. L’occasion pour l’artiste d’évoquer dans une technique plus proche du lavis avec un effet dramatique très poétique, un épisode de sa propre enfance, marqué par le sort tragique d’un de ces beaux chiens Jindo coréens, blancs à la queue en trompette et aux oreilles dressées, abattu pendant la saison des pluies.  On pense à la séquence chez le tueur de chiens dans le film Adresse inconnue de Kim Ki-duk. Changement d’époque, changement de style graphique chez Keum Suk Gendry-kim, qui soigne sa narration et l’adapte à l’évolution de son récit.

© Futuropolis, 2022

D’ailleurs, le ton général de l’album n’est pas si tragique. L’autrice s’attache surtout à raconter la vie quotidienne au rythme de celle de ses propres compagnons chiens. Elle brosse de nombreux portraits des animaux, au fil de leur croissance, recherche les marques d’expressivité, illumine les regards, lustre les pelages, travaille le rendu des postures, des attitudes, avec humour souvent, la grande sensibilité qui caractérise son trait, et ce travail du cadre si particulier et si empathique. Grâce à ces multiples marqueurs, caractéristiques de son style, Keum Suk Gendry-Kim emporte l’adhésion et la sympathie du lecteur. Le couple n’a pas d’enfant, et l’autrice, pas dupe, ne manque pas de faire le parallèle avec l’aspect inconditionnel de l’attention et de l’affection que tous deux portent à leurs petits compagnons. Avec le proverbe indien cité en préambule, Keum Suk Gendry-Kim inscrit son témoignage dans le cadre de la responsabilité de l’homme envers l’animal.

L’idée de changer de vie pour s’adapter aux besoins des chiens rappelle la tendance contemporaine des Séoulites à revenir à une forme de vie moins stressante, éloignée de la précipitation et de bruit de la grande ville, présente dans d’autres œuvres graphiques comme Le goût du kimchi, de Hong Yeon-sik, ou au cinéma dans Petite forêt, de la réalisatrice Yim Soon-rye. Ce qui permet à Keum Suk Gendry-Kim de peindre la nature environnante, le changement des saisons, les paysages, les arbres dont elle est une inconditionnelle admiratrice, pour notre plus grand plaisir de lecteurs et de lectrices.

Un roman graphique qui fait du bien !


La saison des pluies
Keum Suk GENDRY-KIM
Traduit par Loïc GENDRY et Keum Suk GENDRY-KIM
Éditions Futuropolis, 240 pages, 26€

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