Depuis Hiver à Seokcho, Élisa Shua Dusapin énonce d’une voix feutrée, choisissant le mot aussi sûr que le pied d’un animal de montagne, par lequel l’idée fera son chemin dans notre conscience. La touche est légère, les ruptures de ton assumées, la grâce pour tout dire avec cette écriture qui a l’air de ne pas vouloir y toucher.
Dans cette maison qu’il faut déménager à tout prix depuis la mort du père, Agathe retrouve pour une dizaine de jours sa sœur Véra, aphasique depuis sa naissance. Les cartons se remplissent, les araignées mortes au fond des casseroles finissent dans la poubelle, la maison lentement se vide, et les deux sœurs qui ne s’entendent guère finissent, elles aussi, par vider les lieux, avant que la maison de famille soit prête à être vendue. Les deux sœurs vont se côtoyer, s’éviter, subir cette dizaine de jours sans que jamais ce qui les sépare ne se réduise. Si l’aphasie de Véra contient l’impossible familial, autant qu’il illustre ce qui ne peut être dit, (et ce qui ne peut être dit doit être tu, suivant le philosophe), les silences d’Agathe ne valent mieux. Car Agathe, c’est avant tout une voie en suspension, pratiquant et déplorant l’indicible, le non-dit, le non-à-dire. C’est dans cet entretemps que la maison s’efface sans que jamais ce qui a séparé le père des filles, les filles entre elles, ne soient énoncé, réduit aux souvenirs.
Le vieil incendie est avant tout une ode à la douceur d’écrire loin du reportage, du « raconté », et pour tout dire du bavardage, sans pathos ni démonstration. Il faut lire Élisa Shua Dusapin, l’une des très belles voix de la littérature contemporaine de langue française. Et comme cadeau de Nouvel An, nous vous offrons une interview exclusive réalisée par Jeong Wookyung, de l’Université nationale de Séoul.
Le vieil incendie
Élisa Shua Dusapin
Zoé, 2023
144 pages, 16,50€