Sur la K-pop cheval de Troie du soft-power, il s’est écrit beaucoup de choses, mais voici le livre le plus complet paru à ce jour. Certes, il n’est pas une critique radicale de l’affaiblissement du goût esthétique, critique qui tend à se généraliser, et dont la k-pop pourrait être un exemple. Mais il ne fait pas l’impasse sur le degré élevé de marchandisation des goûts et de la création esthétique, en soulignant que ce processus d’esthétisation de la sphère culturelle et artistique devient le marchepied du capitalisme contemporain, le dit capitalisme transformant les besoins en désirs (bien que nous soyons enclins à dire qu’il s’agit plutôt du contraire). Ce mode de production du capitalisme de l’Entertainment présente la caractéristique de transformer les artistes en idols, les chanteurs en performers, et le tout en marchandises émotionnelles.
Le capitalisme esthétique repose sur une idéologie du bonheur désormais bien ancrée. Chanteurs de k-pop, acteurs de dramas sont les vecteurs d’une consommation plurielle, capable de niveler les publics et de proposer une offre idéologique couplée à une offre consumériste. Ce tour de force coréen n’aurait pu avoir lieu sans la participation active de l’État et des chaebols, convaincus de l’avenir du capitalisme culturel. Ainsi face à ses concurrents notamment américains et chinois, la Corée du Sud rebattait les cartes de l’hégémonie culturelle mondiale. Aux produits américanisés, le plus souvent tournés vers eux-mêmes, la Corée du Sud proposait une offre de diversité venue d’un pays émergent (à l’époque où la hallyu a été décidé dans les années 90). Les auteurs font de ce point de vue une analyse pertinente. La comparaison entre le décentrement culturel et la réorientation géostratégique du monde est tout à fait éclairante.
Ce livre assorti d’une enquête de terrain auprès de jeunes, pour beaucoup étudiants, coréanophones ou non, montre combien la jeunesse occidentale est prête à bouleverser ses cadres perceptifs, au profit d’un ailleurs culturel plus satisfaisant. Quand bien même se montreraient-ils non dupes du marketing bien rodé de cette industrie culturelle, ils n’en revendiquent pas moins un attachement indéfectible à la fois à la k-pop et aux dramas. Des valeurs étrangères à la culture française sont non seulement revendiquées mais aussi métabolisées, fondues dans un grand patchwork mondialisé. Que ce marketing produise des artistes standards n’en provoque pas moins un attachement, une adhésion au lointain, l’exotique, transformant la hallyu non seulement en modèle culturel mais aussi en modèle d’adhésion à une communauté. En ce sens l’offre de la hallyu correspond bien à la demande d’une nouvelle pop culture globalisée, susceptible de contrebalancer l’hégémonie américaine, et peut-être bientôt chinoise.
On pourra reprocher à l’ouvrage, mais ce n’était peut-être pas le but des auteurs, de ne pas avoir mis en rapport la prégnance de la k-pop avec l’état de la société contemporaine coréenne. Car si les effets sont mesurés sur la jeunesse française, ces effets n’auraient pu avoir lieu sans que la jeunesse coréenne ait montré la première une forte empathie avec l’industrie culturelle de son pays. Ce qui nous amène à penser, par hypothèse, que l’empathie culturelle ne peut être isolée de l’empathie sociale, ce que le livre d’ailleurs cite à plusieurs reprises. Les effets exacerbés du capitalisme sur la jeunesse coréenne provoquent un désarroi tel, que la recherche de nouvelles idoles à admirer se transforme en une véritable ingénierie de l’admiration (cf. non seulement la puissance des fans clubs mais aussi le sacrifice que peuvent consentir ces fans pour suivre leur groupe préféré). Pour la France, la question se pose autrement et c’est plutôt la congruence du style généré par ses idols qui séduit les jeunes : chorégraphie, corps longilignes et souples, design des tenues vestimentaires, textes de chanson pour la plupart à l’eau de rose, mais aussi valeurs communautaires, professionnalisme des artistes, sacrifice pour arriver au plus haut niveau. Le livre ne traite qu’en filigrane les dramas (qui mériteraient à eux seuls un autre ouvrage) le cinéma coréen très prisé (qui fait partie de la hallyu) ou encore de la cuisine coréenne de plus en plus populaire. La politique de soft-power coréen désormais siglée autour de la lettre k (k-pop-, k-drama, k-literature, k-food) propose de manière douce non seulement de nouveaux produits, mais aussi un modèle de société qui, quelle que soit la souffrance qu’il impose, serait de nature à provoquer la confiance en l’avenir. Si l’on veut comprendre le soft power coréen, cet ouvrage est indispensable.
K-pop, soft-power et culture globale
Vincenzo Cichelli et Sylvie Octobre
Presses Universitaires de France, 324 pages, 22€
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