On ne choisit pas impunément l’exil : « L’obsession de l’ailleurs, c’est l’impossibilité de l’instant, et cette impossibilité est la nostalgie même », dit Cioran dans son Précis de décomposition. Au cœur de Cantant transparaît l’architecture qui le soutient : l’exil et la nostalgie. Une nostalgie sans plainte ni regret, en quelque sorte une nostalgie fondatrice qui interroge le paradis perdu, en tentant de retrouver ce qui pré-existe à tout état. Moby Dick et Pip le matelot, L’Odyssée et Ulysse, Boutès et les Sirènes, Jonas et la baleine encadrent ce roman dans lequel l’auteur n’aura autant jamais joué une partie de cache-cache avec son lecteur.
L‘alarme intérieure
Jungsu, personnage principal, consulte son ami et médecin J, spécialiste des affaires de l’âme (une première dans l’œuvre de Lee Seung-u, l’apparition d’un médecin psychanalyste), pour une étrange raison : dans certaines circonstances, une alarme sonne dans sa tête. Cette alarme, sous la forme d’un sifflement d’oreille intolérablement douloureux et sans doute consécutif à « des couches de poussière accumulées » dans la tête, se déclenche sans qu’il y ait une cause organique. Des examens effectués n’ont rien révélé. En médecin avisé, J relie le sifflement d’oreille à une situation de mal-être de Jungsu et lui conseille de quitter séance tenante son univers quotidien au profit d’un monde qu’il ne connait pas. Jungsu part précipitamment pour Cantant, une petite ville au bord de l’Atlantique, où vit Pip, l’oncle maternel de J., là où « le Moi du passé ne pourra pas intervenir sur le Moi du présent ». Jungsu précise que cette alarme se déclenche au centre de son crâne, puis irradie ensuite dans toute la tête et provoque des douleurs intolérables. Une alarme intérieure, le sixième sens en quelque sorte, alerte sur une situation qui surgit et qui peut être indifféremment source de plaisir ou de danger. Elle exprime une intuition en comparant une situation du passé à une situation qui se présente et pour laquelle le raisonnement n’intervient qu’en second lieu. Lorsqu’elle devient pathologique comme dans le cas de Jungsu, il est acceptable de faire l’hypothèse qu’il s’agit d’un passé douloureux qui par intermittences se manifeste. L’alarme marque le rappel d’une expérience vécue, enfouie selon les cas dans le pré-conscient ou dans l’inconscient, plus ou moins refoulée donc. Jungsu met ce signal sur le compte de la relation délétère qu’il entretient avec son père, dont le comportement irresponsable l’a cruellement fait souffrir dans le passé, au point qu’il a souhaité la mort de son père. L’alarme est synonyme de pressentiment, d’alerte, d’avertissement. La relation délétère avec son père ne peut donc motiver entièrement le déclenchement de l’alerte, puisque cette relation a été verbalisée par Jungsu et ne touche donc plus aux zones obscures du psychisme. Se pourrait-il alors que la sirène provienne de l’une de ces « couches de poussière accumulées » dans la tête de Jungsu ? Autrement dit, des pensées lancinantes qui ne trouvent pas d’issue. Et plutôt qu’à révéler un symptôme, le dissimule ? Nous ne pouvons que conjecturer. La sirène alerte Jungsu sur la présence d’un autre en lui. Jungsu ne s’appartient plus tout à fait, un autre que lui prend les commandes en certaines circonstances. Car la part consciente du personnage ne peut sonner l’alarme (puisqu’un danger repéré provient de la conscience de ce danger). Il faut se résoudre à localiser dans un passé enfoui, réprimé, la présence d’une dualité agissante, laissant le lecteur désemparé, car Cantant, comme tous les romans de l’auteur est un exercice de dissimulation, « à visage découvert » en quelque sorte.
Au Rimbaud du « Je est un autre », Jungsu pourrait ajouter le Pessoa du « Je suis plusieurs ». L’écrivain portugais, à propos des quatre-vingt-cinq hétéronymes présents dans son œuvre littéraire, écrit dans une lettre à Cortès-Rodriguez du 1er janvier 1915 : « J’ai placé une conception profonde de la vie en chacun d’eux, différente chaque fois, mais toujours capable de porter une attention grave à la mystérieuse importance du fait d’exister ? ». Une vie est souvent un agrégat de vies multiples dont il faut accepter la présence de chacune d’elles. Mais, Jungsu est dépassé par l’Autre qui vit en lui et qui manifeste sporadiquement sa présence sous la forme d’une alarme qui se déclenche. Jungsu ignore l’origine de son mal, il la pressent. Ce pressentiment se révèle dans l’intérêt qu’il porte à la confession de Tanaël, un missionnaire rencontré à Cantant. Tandis que Tanaël confie ses doutes et son passé (on pourrait ajouter : ses doutes sur son passé), la sirène de Jungsu se met en marche et lui procure une douleur si forte qu’il se frappe la tête à plusieurs reprises sur la table et se blesse. On devra le transporter à l’hôpital. L’évocation du passé de Tanaël fait resurgir le passé de Jungsu. Car Jungsu ne s’est pas nourri de lotos, ces jujubes que les compagnons d’Ulysse ont mangés pour oublier leur passé. Quand une situation menace l’intégrité de l’être, couper court à la réalité est une solution possible. C’est le sens de l’évanouissement qui déconnecte le sujet de la réalité. Le doute exprimé par Tanaël, quant à son passé, trouve son double symétrique en Jungsu qui choisit de protéger son intégrité psychique en portant un coup à son intégrité physique. Le passé, un temps réprimé, refait surface et sonne à la porte de la conscience.
Jeu de miroir
La rencontre entre Tanaël et Jungsu n’est pas fortuite. Un lien invisible les relie. Tous deux écrivent. Mais Tanaël a les plus grandes difficultés à écrire ce que l’on croit être ses mémoires, en réalité la confession de son passé. Il a été cité comme témoin principal lorsque le cadavre de son ancienne maîtresse a été exhumé. Il est légitimement soupçonné. Son ordre religieux lui demande un rapport « sincère ». Quand il interroge son passé, le doute surgit en lui : « Le passé est un animal féroce, tapi dans l’ombre qui soudain bondit et mord le présent », « Suis-je cette bête féroce ? » 과거는 어딘가에 웅크리고 있다가 갑자기 튀어나와 현재를 물어뜯는 맹수와 같습니다. 나를 해치는 이 맹수는 나입니까, 아닙니까 ? Tandis que Tanaël se confie à Jungsu, ce dernier entend son alarme intérieure se déclencher et devenir assourdissante au point qu’il se frappe la tête contre la table et se blesse sérieusement. Il est amené à l’hôpital. À son retour, tous deux se confient mutuellement. Tanaël avoue les mauvaises raisons pour lesquelles il est devenu missionnaire : voir disparaître le monde présent et attendre la venue d’un nouveau monde. Jungsu avoue qu’il a traversé la vie en guerrier, multipliant les champs de bataille. Tous deux partagent en commun de fortes pulsions destructrices.
Mais de quoi est fait le passé de Jungsu ? Certes, il est fait allusion à la relation avec son père, endetté de jeu, qui l’a obligé à travailler dur pour rembourser les dettes contractées. Cette relation houleuse semble être la cause du comportement guerrier et lourd de conséquences de Jungsu. Mais le lecteur tatillon ne trouvera pas son comptant avec cette révélation. Ce lecteur pourra se demander en quoi une souffrance verbalisée peut-elle encore justifier un signal d’alarme ? Deviens ce que tu sais déjà, a-t-on envie de dire à Jungsu. Ce qui a été verbalisé, c’est le passé conscientisé. Ce que tu sais déjà, c’est le passé refoulé. Et celui-ci, comme dans la cure analytique ne peut survenir que par l’intermédiaire d’un médiateur. Tanaël est arrivé à point nommé.
Trois personnages et la nostalgie des origines
Pip, chez qui Jungsu est hébergé, fut marin autrefois. Il sauta par-dessus bord et nagea deux jours avant d’arriver à Cantant. Recueilli par Naya qui le séduisit par la douceur de son chant, il s’installa définitivement dans cette petite ville. Le chant de Naya lui a rappelé un chant plus ancien que le chant lui-même. Le narrateur le dit clairement : ce chant est une berceuse entendue dans son enfance. Pip de Cantant imite Boutès, compagnon d’Ulysse. Tous deux se sont jetés à la mer, attirés par le chant, l’un de Naya l’autre des Sirènes. Tous deux semblent vouloir entendre « la voix enchanteresse » et « renoncer à la société de ceux qui parlent » et « répondre à l’appel plus ancien que celui qu’adresse la voix », dit Pascal Quignard. Après avoir longtemps erré par les mers, Pip s’ancre à Cantant où vit Naya. Pour elle, Pip a interrompu son errance sur les mers.
Tanaël, missionnaire en échec (il n’a converti personne) essaie d’écrire un texte sur son passé mais le doute lui fait éprouver les plus grandes difficultés à l’écrire. C’est sans doute à l’expression de cette difficulté et du doute qui l’anime que l’on doit le comportement étrange de Jungsu. Le narrateur avoue que pour écrire sereinement une confession sur son passé, il faut qu’existe un système de sécurité. Mais de quel système s’agit-il ? N’y a-t-il pas là une aporie, à vouloir considérer l’écrit comme une possibilité de confession ? Lee Seung-u semble poser ici deux principes (que l’on retrouve dans toute son œuvre) : l’écriture ne peut être qu’écriture de soi ; toute écriture de soi ne peut être qu’une écriture de la dissimulation. En se révélant, l’écrivain se dissimule, en se dissimulant, l’écrivain se révèle. L’écrivain porte un masque dont Richard Millet dit : « La confession du pire est l’ultime masque de l’écrivain grâce à quoi il peut continuer de marcher vers autrui tout en se perdant aux yeux de tous ». En se confiant, oralement, Jungsu a établi bien malgré lui le système de sécurité dont Tanaël a besoin pour écrire. Par un habile jeu de miroir, la confidence mutuelle favorise la naissance du texte. Condamnation sans appel de l’élucidation de soi par la seule écriture. Jungsu/Tanaël fracturent l’habituelle auto-censure des personnages de Lee Seung-u.
Le passé de Jungsu n’est pas de tout repos. Il a traversé une bonne partie de sa vie comme on traverse les champs de bataille. La relation avec son père a pesé lourd et il doit à une agressivité refoulée la persistance de son ressentiment. Cependant, la fréquentation de Tanaël et du lourd tribut qu’il porte sur la conscience, l’ont, paradoxalement, libéré. Dans un processus de dévoilement mais aussi de dévoration réciproques, Jungsu se libère de son passé grâce à la confession de Tanaël. L’oralité de la confession a permis que le système de sécurité souhaité advienne. Jungsu peut désormais isoler l’expérience relationnelle avec son père, et accepter son passé. Ce n’est qu’à ce titre que son alarme intérieure va laisser la place à un doux chant maternel.
Trinité 1 : Mer/Mère/Chant
Une double trinité s’établit au fil des pages. La première se constitue sur le lien Femme-Mer-Chant. Un temps, celui de l’enfance, plus précisément de la mère (imago maternel) ; un espace, la mer ; et le chant comme activateur de mémoire. Les trois branches de cette trinité sont le support de la nostalgie. Que les personnages vont incarner dans la seconde trinité. Chaque branche renvoie à un temps immémorial, le temps d’avant la mer, d’avant le chant, d’avant la mère. Recherche métaphysique s’il en est, nostalgique à coup sûr. La nostalgie du monde d’avant le monde. Ou pour le dire autrement, la Genèse du monde. Dans le chapitre 1 du texte biblique, c’est un monde sensible, harmonieux et paisible qui est créé, tandis que c’est dans le chapitre 2 que le monde humain est créé et devient source de tous les malheurs. Le monde idéalisé de la Genèse, le paradis perdu sont à la source de la nostalgie.
« La mer est pour tous les hommes l’un des plus grands, des plus constants symboles maternels » dit Marie Bonaparte. La mer est « germinative », aussi prompte à donner la mort qu’à donner la vie. En elle réside le Léviathan qui menace sans cesse du retour au chaos. Pip a sauté par-dessus bord parce qu’il a trouvé terre où ancrer sa vie. Ancrer sa vie, Ulysse l’a fait. À Ithaque, qu’il a quittée et qu’il veut retrouver, au prix d’un abandon que Camus note ainsi : « Calypso offre à Ulysse de choisir entre l’immortalité et la terre de sa patrie. Il repousse l’immortalité. C’est peut-être tout le sens de l’Odyssée». En se jetant à l’eau Pip renaît. « Comment un homme quand il est déjà vieux, peut-il naître ? Peut-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mère et naître à nouveau ? », demande-t-on à Jean. Bachelard aurait pu répondre que pour renaître, comme pour naviguer, « […] il faut des intérêts puissants. Or les véritables intérêts puissants sont chimériques ». Pour Pip de Cantant, le chant de la mer et le chant de la mère se retrouvent en Naya, venue les incarner. Dans la mer, comme dans le chant se trouvent le primitif et l’éternité. Jankélévitch écrit à ce propos : « La musique nous enveloppe et c’est ainsi qu’elle nous pénètre car elle est vaste et infinie comme la mer. » Pip, guidé par Naya est à la poursuite du chant originel et par le chant originel tente de retrouver la femme originelle. Cité par Jankélévitch, Plotin dit que la musique sensible est créée par une musique antérieure au sensible. La musique vient d’un autre monde. La recherche de ce qui préexiste consacre la perte de mémoire. « Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? », chante le poète Paul Verlaine. Et si le passé n’avait pas, en lui-même, la consistance qu’on lui prête ? Quel est le passé du passé ? Le passé peut-il être nostalgique de son passé ? « J’ignore ce que le passé me réserve » écrivait Henri Bauchau. L’irréversibilité du temps et la détresse de n’avoir aucune prise sur lui, font basculer dans le désir d’un temps d’avant le temps : « Ma mémoire, c’est une vie par-delà ma naissance » écrivait Melville. Ainsi, dans cette première trinité, les traces du passé s’établissent avec le rapport mer/mère/ chant. Ces trois constituants de la trinité 1 s’incarnent dans une deuxième trinité.
Trinité 2 Pip-Jungsu-Tanaël
Les trois personnages ont la caractéristique commune de vouloir oublier leur passé. Pip de Cantant (comme Ulysse) cède à la nostalgie de la terre nourricière. Il lutte contre la mémoire, cet autre enfer. Pip de Cantant veut oublier que nulle terre jusqu’ici ne l’a accueilli. Il veut oublier jusqu’à son nom, sa langue, son pays natal. Jungsu est venu à Cantant oublier la sirène d’alarme qui l’épuise. Tanaël est venu oublier Marie, sa maîtresse, morte assassinée et dont le roman ne dit pas s’il est le coupable ou non. Ainsi sont convoqués conjointement la mémoire et l’oubli. La mémoire condition de l’identité, l’oubli condition de la vie.
Ces trois personnages, par bien des côtés, n’en forment qu’un. Tous trois semblent avoir passé entre eux une convention implicite par laquelle ils tentent, non pas d’oublier leur passé, mais de le commuer. « Quel que soit notre désir d’atteindre à la réalité de notre passé, nous ne pouvons faire autrement que de recourir au langage de notre époque ». C’est sans doute ici que se situe le malheur de Tanaël auquel est si sensible Jungsu : le passé rendu indicible par l’absence d’une langue au présent. Le passé prend le pas sur le présent. Mais Tanaël, neutralisé par un passé sur lequel il ne parvient pas à écrire, devrait méditer cette phrase de Cioran : « La source de l’écrivain, ce sont ses hontes ». La confession de Tanaël, son passé et ses doutes, a agi comme un réflexe pavlovien chez Jungsu (à ce moment du roman, il se frappe violemment le crâne sur la table et doit être hospitalisé).
Nostalgie et travail de deuil
C’est ainsi que se construit la nostalgie. Sur le désir de retour, non à un lieu mais à un temps (Ulysse avait toute l’éternité offerte par Calypso pour se rendre à Ithaque, mais il lui a préféré le temps humain du retour). Temps du passé, temps sans âge, temps de la pureté. La nostalgie ne s’éprouve pas par le retour au lieu de son enfance, dont on sait intuitivement que ce lieu n’est plus celui que l’on a connu, mais au temps de son enfance liée à un monde antérieur (Kant). Le terme nostalgie, d’origine médicale, fit son entrée en littérature au XVIIIe siècle en s’appuyant sur son étymologie nostos (douleur) et algos (souffrance) et évoque souvent la douleur que représente la perte du pays natal. Mais plus que le lieu, c’est le temps qui est chéri. Le temps de l’enfance perdue (qu’elle ait été heureuse ou non), du désir intact, de la relation fusionnelle à la mère : « La nostalgie est incommunicable. Elle isole le locuteur incapable de transmettre le sentiment qu’il éprouve. D’autant plus qu’il n’est pas sûr de ce sentiment, il ne sait pas toujours de quoi il est fait, ni même si ce sentiment a une chance d’être réalité » La nostalgie intégrant en elle un processus régressif se trouve dé-temporalisée. Ce n’est pas un temps défini, précis, que la nostalgie cherche à retrouver, mais le temps subjectif de la pureté, le temps d’avant le conflit : au fond, l’amour des commencements. C’est ainsi que nous interprétons cette coalescence entre la mer, la mère et le chant, tous trois relevant des temps premiers. La fin du monde présent souhaitée par les prosélytes (et qui décidera de la « vocation » de Tanaël) est à rechercher plutôt du côté d’un monde qui n’est déjà plus, le monde d’avant le monde. La nostalgie de l’enfance laisse la place au ressentiment d’un monde qui n’a pas tenu ses promesses. Par déplacement, la nostalgie vient se frotter au travail de deuil. Cette formule autrefois utilisée pour marquer la souffrance due à la perte d’un être cher, a pris un autre sens, celui de souffrance due à toute perte, d’un amour, d’un projet, d’une idée, voire d’un objet symboliquement investi. Pip, comme Tanaël, comme Jungsu ont en commun le travail de deuil. Pip, parce qu’il a perdu Naya après une longue maladie, Tanaël parce qu’il a perdu Marie et sans doute un peu de sa foi religieuse, Jungsu, parce qu’il a perdu sa jeunesse à se battre inutilement contre la société. On imagine sans peine combien ce passé douloureux, certainement empreint de culpabilité est une source de danger. Jungsu l’a bien compris ; il s’est inventé un trouble somatique comme système d’alerte. Mais quel est donc ce passé si dangereux qu’il ne peut être nommé ? Bien sûr, il nous a été dit qu’il avait laissé son père baignant dans une marre de sang et nous ne savons pas si le père est mort de cet accident. Après cette dispute et cet accident, Jungsu n’a pas respecté au moins un commandement de Dieu, peut-être deux, ce qui suffit pour vouloir fuir la face de l’Éternel, comme Jonas, comme Tanaël l’ont fait. D’autres indices fleurissent mais il faut peut-être aller les chercher chez les autres personnages : une maîtresse retrouvée morte, une messe transformée en hystérie collective, un suicide avorté, une lutte entre un père et un fils, une anecdote sur l’absence de Dieu, une berceuse maternelle… et puis, le chant des Sirènes qui offre le choix d’y céder et mourir ou de le refuser et le regretter à jamais. Nous n’aurons pas de réponse dans le roman, mais un nouvel indice : pendant la fête de Cantant, Tanaël sautera depuis une haute plateforme, installée pour l’occasion, dans la mer. Avec ce plongeon censé imiter un rite ancien et malgré la peur du saut, il sentira dans l’air son corps se diviser : l’ancien moi plongera dans la mer et en ressortira métamorphosé. Et Jungsu, soudain l’âme apaisée entendra, à la place du sifflement, le chant maternel.
Renaissance accomplie.
Jean-Claude de Crescenzo, chercheur-associé à l’Institut de Recherche Asiatiques (Irasia), directeur de la revue de littérature coréenne Keulmadang.
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